Les esclaves

 

 

Oh ! quel beau soleil ! qui brille et éblouit !

Au fond de nos clos, de toute l’année il n’entre pas

Que le ciel est beau ! Comme la terre est chaude !

        Ah ! par l’heure, nous sommes rescapés !

        Pour ne plus pâtir que faut-il faire ?

            Où êtes-vous, notre Sauveur ?

        Car on dit que vous êtes arrivé.

 

Quelle file de gens ! – qui monte, qui descend –

De la crête des monts aux creux des vallons !

Tous portent quelque chose sur la tête ou l’épaule,

                Entrent dans une étable ;

        Nous cheminons sur le même sentier. –

            Ils virent sur un peu de paille

            Un joli petit nu et blond.

 

Qui est le maître ici, dites, qui est le maître ?

Quel est celui qui vient pour nous désenchaîner ?

C’est peut-être toi, bon vieux ?... Si ce n’est toi qui est-ce ?

        Pour le rejoindre où faut-il aller ?

            Pas bien loin, pour sauver le monde,

        Il faut avant, que trente ans il se cache

            L’enfant qui dans l’étable est né.

 

Ah ! c’est toi pauvre enfant ? Et que viens-tu faire

Dans une mauvaise étable ? Et on dit que tu es Dieu !

Mais de t’envoyer comme ça à quoi songe ton père ?

          C’est vouloir la mort de son fils !

              Pourras-tu fuir la colère

              Des Césars qui, sur la terre

          Maintenant crient : « Tout cela est mien ! »

 

Pour nous autres quel sort ! et il y a longtemps qu’il dure !

Il vaut mieux être, sûr, ses chiens ou ses chevaux.

Aux lamproies des bassins on nous jette pour pâture.

          Tout vif, car nous sommes des esclaves !

      Ah ! la mort ne vient que trop tardive !

                Ce n’est que dans la nuit

          Que nous trouvons un peu de repos.

 

Arrivent ensuite les jours de grandes réjouissances

Jours de malédiction qui n’ont pas leurs pareils !

De César, de son fils on célèbre la naissance :

              Enfants, hommes, filles, moitiés.

              Une foule dépoitraillée

          Dans les arènes à pleine arcade

              Monte les grands escaliers.

 

La ville semble vide, et tout le peuple guette ;

Le bétail d’Afrique attend le morceau...

Écoutez-les bramer dans les antres de pierres !

              Ils ont faim ; quel aiguillon !

              On les lâche... La bataille,

                  Pendant que César braille,

          Démembre l’esclave et le lion.

 

Nous sommes accablés de maux, nous sommes chargés de chaînes

Pour guérir tout cela, que peux-tu, Enfançon ?

Et pourtant si tu étais Dieu, ce te serait facile...

          Fais voir si tu l’es ou non ! –

          Aussi vite la Vierge Marie

          Dans l’étable prend le Messie,

          Les esclaves tombent à genoux.

 

C’est moi, pauvres esclaves, qui suis votre Sauveur

Vos maux je les savais ; quand ils vous ont atteints

Je voyais tout de là-haut, et je dis à mon Père :

                Ce qu’ils doivent souffrir.

          À cette heure le monde espère

          Laissez-moi venir sur la terre

                    Laissez-moi mourir !

 

Me voilà ! Je suis venu porter vos misères

Et de votre douleur manger le pain noir

Je suis venu vous signer du même baptême,

                Du baptême de mon sang !

            Mais attendez que je gravisse

                Pour qu’un jour, homme je pâtisse

            Ce que je ne peux, encore enfant.

 

Aussi bien je mourrais au milieu de deux larrons ;

Sur la croix des esclaves je mourrais cloué ;

Pour mère, sur ma croix, je vous donnerai ma mère :

          Nous serons comme frères de lait

          Et les esclaves pleurèrent de joie

          Et dans l’étable ils crièrent

                César, à toi de trembler.

 

 

 

Théodore AUBANEL, Avignon, 1852.

 

Recueilli dans La grande et belle bible des Noëls anciens,

par Henry Poulaille, Albin Michel, 1951.

 

 

 

 

 

 

 

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