L’ennemie

 

 

Éternel, Dieu des cœurs robustes, fixe-moi,

Contemple mes tourments, ma crainte et mon émoi,

Ma douleur, et ma paix à jamais endormie.

Je fus vaincu, mais vois quelle était l’ennemie

Qui s’attachait sans cesse à chacun de mes pas !

Tu vois, Dieu fort, les maux jaloux et les combats

Que j’ai dû, sans arrêt, sans repos et sans trêve,

Subir contre la femme ardente aux yeux de rêve !

Tu vois de quel attrait mon œil fut alléché !

Tu vois mon mal, tu vois mon crime et mon péché,

Tu vois sous quel fardeau tomba ma chair rebelle !

Mais pourquoi, Dieu puissant, la fîtes-vous si belle ?

Pourquoi mettre en ces yeux tout l’attrait de l’azur,

La magie invincible, et ce doux charme obscur

Qui s’exhale des corps pétris dans l’ineffable ?

Pourquoi dans cette chair damnée et périssable

Mettre tout l’infini de l’amour et du ciel ?

Sa lèvre est comme un fruit divin au goût de miel.

Les roses, dont l’odeur fait défaillir le monde,

S’effacent à côté de sa déité blonde.

Elle est fragile, elle est puissante, elle est ici

Le philtre triomphant qui chasse le souci,

Elle fait oublier, elle règne, elle plonge

L’homme qui s’en approche au sein riche du songe ;

Elle est palpable, elle est tangible, et l’on a peur

De la voir tout à coup fuir comme une vapeur,

S’éclipser, dans les doigts frémissants, comme un rêve.

On craint le temps qui fuit, et l’heure paraît brève,

Et la vie à ses pieds semble n’être plus rien

Qu’un songe qui palpite au ciel aérien.

Elle trône sur nous, nébuleuse et prolixe.

Elle est lointaine et proche, et, quand l’homme la fixe,

Il croit voir sur l’azur magnifiquement bleu

Une émanation gracieuse de Dieu.

Le cœur se trouble et bat soudain quand elle passe.

Son regard illumine et parfume, et sa grâce

Est le présent sacré du ciel à l’être humain.

Elle tient l’infini terrestre dans sa main,

Elle est le clair soleil qui réchauffe la terre,

Elle garde en son sein tout l’exaltant mystère

De la vie inquiète et des créations.

Elle est sur nous comme une averse de rayons

Illuminant les sens et transportant les âmes.

Ses yeux semblent tisser d’impérissables trames

Dans lesquelles, sans fin, les plus purs d’entre nous

Tombent, en proie au mal équivoque et jaloux.

Elle est la force haute, instinctive, éternelle ;

Toute la vie obscure et rude agit en elle,

Elle crée à jamais, inlassable et sans fin.

Son baiser radieux est suprême et divin,

L’homme qui l’a goûté veut le goûter encore.

Et le cœur pur, le cœur tourmenté qui l’ignore,

Rêve de se plonger dans ce gouffre béant,

Trompeur comme un mirage et comme l’Océan.

Elle est, parmi les fleurs, la fleur sainte et féconde,

Son sein, jamais tari, renouvelle le monde,

Elle donne la vie, elle crée en ce lieu,

Magnifique, et puissante et belle comme Dieu.

 

 

 

Nicolas BEAUDUIN, La Divine Folie.

 

Recueilli dans les Suppléments à l’Anthologie

des poètes français contemporains, 1923.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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