La prière pour tous

 

(imitée de Victor Hugo)

 

 

Ma fille, va prier. L’heure est venue

Et de s’interroger et de penser.

Le travail a cessé et, sur le monde,

L’ombre va déployer son pavillon ;

Au souffle de la nuit, l’arbre secoue

La poudre du chemin et, dans les voiles

Fins du léger brouillard qui l’enveloppe,

On voit là-bas trembler la vieille tour.

 

Vois : le couchant de plus en plus resserre

L’aire de ses reflets et de ses nacres

Et l’étoile du soir, sur la colline,

Au bord de l’onde allume son flambeau.

Le rustique logis est préparé

Pour le frugal souper et, sur le seuil,

La ménagère, au milieu des petits,

Attend le lent retour du laboureur.

 

Sur le sein bleu de la voûte céleste

Surgit, l’un après l’autre, un diamant,

Tandis qu’un char lentement fait grincer

Dans le lointain sa rumeur cahotante.

Tout plonge au cœur de l’ombre : mont, vallée,

Ferme, église, chaumière ; une dernière

Lueur de jour guide dans le désert

Le voyageur qui n’a plus de repère.

 

La nature gémit : le vent dans l’arbre

Et l’oiseau dans son nid et la brebis

Qui bêle en chevrotant et le ruisseau

Dans les replis de son cours fugitif.

Le jour connaît les maux et les soucis,

Mais voici la placide nuit sereine 

Après la peine, après la tâche, l’homme

N’aspire qu’au repos et la prière.

 

Le signal sur la terre a résonné :

Les enfants maintenant parlent aux anges

Et, vers le ciel levant leurs yeux, invoquent,

Agenouillés, leur commun Créateur ;

Mains jointes et pieds nus, la foi au cœur

Et la félicité sur le visage,

D’une voix unanime, au même instant,

Du père universel quêtent l’amour.

 

Ils vont dormir et, en rondes joyeuses,

Voltigeront sur leurs berceaux les rêves,

Des rêves d’or, tout transparence et grâce,

Que jamais nul pinceau n’osa tracer ;

Déjà, sur les fronts lisses, ils se posent,

Déjà, ils boivent l’haleine des roses

De même que s’abreuvent les abeilles

De la fraîcheur des lis et des œillets

 

Comme l’oiseau, pour s’endormir, sous l’aile

Cache sa tête, de même l’enfant,

Dans la simplicité de la prière

Cache, pour s’endormir, son esprit vierge.

Douce dévotion qui prie et rit

Signe premier de piété naturelle,

Arôme de la fleur du paradis,

Prélude du futur concert des âmes.

 

 

 

Andrés BELLO.

 

Traduit par Mathilde Pomès.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie ibéro-américaine,

Choix, introduction et notes de Federico de Onis,

Collection UNESCO d’œuvres représentatives, 1956.

 

 

 

 

 

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