La lyre chrétienne

 

 

Moi, celui-là qui tant de fois

Ai chanté la Muse charnelle,

Maintenant je hausse ma voix

Pour sonner la Muse éternelle.

De ceux-là qui n’ont part en elle,

L’applaudissement je n’attens.

Jadis ma folie était telle,

Mais toutes choses ont leur temps.

 

Si les vieux Grecs et les Romains,

Des faux Dieux ont chanté la gloire,

Serons-nous plus qu’eux inhumains

Taisant du Vrai Dieu la mémoire ?

D’Hélicon la fable notoire

Ne nous enseigne à le vanter :

De l’onde vive il nous faut boire,

Qui seule inspire à bien chanter.

 

Chasse toute divinité,

Dit le Seigneur, devant la mienne :

Et nous chantons la vanité

De l’idolâtrie ancienne.

Par toi, ô terre Égyptienne,

Mère de tous les petits dieux,

Les vers de la Lyre chrétienne

Nous semblent peu mélodieux...

 

Si notre Muse n’était point

De tant de vanités coiffée,

La sainte voix qui les cœurs point

Ne serait par nous étouffée :

Ainsi la grand’troupe échauffée

Avec son vineux Évohé

Estranglait les chansons d’Orphée

Au son du cornet enroué...

 

Ô fol qui se laisse envieillir

En la vaine philosophie

Dont l’homme ne peut recueillir

L’esprit qui l’âme vivifie !

Le Seigneur qui me fortifie

Au labeur de ces vers plaisans

Veut qu’à lui seul je sacrifie

L’offrande de mes jeunes ans...

 

Mais, ô Seigneur, si tu ne tends

Les nerfs de ma harpe nouvelle,

C’est bien en vain que je prétends

D’accorder ton los dessus elle.

Que si tu veux lui prêter l’aile,

Alors, d’un vol audacieux,

Criant ta louange immortelle,

Je volerai jusques aux cieux.

 

Le luc1 je ne demande pas,

Dont les filles de la Mémoire

Après les Phlegréans combats

Sonnèrent des Dieux la victoire.

Désormais, sur les bords de Loire,

Imitant le saint pouce hébreu,

Mes doigts fredonneront la gloire

De celui qui est trois fois Dieu.

 

 

 

Joachim du BELLAY.

 

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie catholique

de Villon jusqu’à nos jours, publiée et annotée

par Robert Vallery-Radot, Georges Grès & Cie, 1916.

 

 

 

 

 

 

 



1 Luth.