La Vierge Marie faisant dormir l’Enfant Jésus

 

ÉLÉVATION

 

 

 

Dans le ciel se sont tus tout chant, toute harmonie ; l’ange intimidé n’ose pas se faire entendre. Une voix chante sur la terre... c’est la voix de Marie pour endormir Jésus.

 

Aux accents de cette voix le séraphin demeure charmé, laissant muette la lyre, immobile l’encensoir ; et l’étoile attendrie s’incline avec amour, afin d’être plus près.

 

« Ô mon Fils, dit la Vierge, ô vie et gloire du ciel, secret trésor de la terre, riche par-dessus tout ; quand je me meurs d’attendrissement en te voyant si beau, tu dors sur men cœur !

 

Tu dors, ô doux Petit, et tu ne vois plus ta Mère, ta Mère qui pour toi soupire et se consume ; mais le souffle de ta poitrine monte et court sur mon visage, céleste parfum !

 

Tes petits yeux bleus, garde-les donc voilés par leurs paupières ; laisse-moi, tout à mon aise, rassasier les miens de ta beauté. Je ne puis, quand elles s’ouvrent, soutenir l’éclat d’un miroir si ardent.

 

Oh ! comme il serait doux de poser mes lèvres sur tes lèvres de rose ! Mais hélas ! qu’est-ce que je crains ? Ne suis-je pas ta mère ? Ô Dieu ! si mon amour ose cela, mon Fils, mon Fils, pardon ! »

 

*

 

Déjà la voix ne chante plus. Tremblante, oppressée, la Vierge, sur son cœur enflammé d’un tendre amour, enlace son petit Enfant, et, s’inclinant sur son front, lui donne furtivement un baiser.

 

L’Enfant, se réveillant, regarde les yeux de sa Mère, de son œil plein de tendresse, où tout un ciel lumineux resplendit amoureusement, et la Vierge immaculée devient toute rouge.

 

Ô regard d’un Dieu ! Marie se sent fondre comme l’or dans le creuset sur un brasier ardent ; abîmée en son Fils, elle veut confondre avec lui tout son cœur, tout son être !

 

*

 

Quand tu vois près de Jésus sa Mère languissante défaillir d’amour, lys odorant et pur, à cette vue, ô mon cœur, comment pourrais-tu encore demeurer froid et dur ?

 

Mille fois, et partout, avec une immense tendresse, l’œil puissant et doux de Jésus t’a cherché ; et toujours tu as résisté, et jamais, vile créature, tu ne veux te convertir ?

 

Jusques à quand, obstiné dans l’erreur ou le vice, méconnaîtras-tu l’effort de l’amour qui t’attire ? Attends-tu que Jésus vienne, pour le Jugement dernier, rassembler vivants et morts ?

 

Dans cet exil, ne vois-tu pas comme tout gémit, comme tout crie ; comme tout fruit porte un ver, toute fleur un poison, toute joie un deuil, tout cœur une blessure, et toute voix un sanglot ?

 

Ah ! trop longtemps j’ai fui vos regards, Seigneur, comme si je craignais la mort en votre amour ! Ah ! trop longtemps, pour vous, j’ai laissées fermées les portes de mon cœur !

 

Dès aujourd’hui, ô mon Jésus, je les ouvre toutes grandes, entrez-y ; faites-vous avec lui un trône, un dais, un autel. Ah ! si, en vous donnant tout, je retrouve le temps perdu, jamais je ne croirai vous donner assez.

 

Faites de mon cœur, ô divin Enfant, (chose plus douce encore pour moi), un berceau pur, couvert de parures, où, pour vous endormir, on puisse vous bercer, comme le faisait Marie, avec un cantique d’amour.

 

Marie ! Oh ! puisque vous avez voulu, vous, éternel, naître d’Elle, et sucer le lait virginal sur son sein, à la vue de l’amour que vous avez eu pour Elle, comme vous je veux l’aimer.

 

Si je ne l’aimais pas, vous ne m’aimeriez point, vous non plus ; mon ardeur, vous ne pouvez pas l’agréer l’un sans l’autre. L’un sans l’autre, vous ne me recevriez pas non plus dans le ciel, Fils et Mère de Dieu !

 

Liez mon cœur au vôtre par une chaîne fleurie ; ce sera pour moi un royal honneur que de pouvoir vous servir. Mon suprême désir, quel est-il ? Vous donner ma vie, et mourir à vos pieds.

 

Douceurs, plaisirs, trésors, pour attiser ma flamme, ne me les donnez pas, Seigneur ; je ne fais cas de rien. Votre amour, voilà ce que le mien réclame. Qu’il soit toute ma récompense.

 

 

Jacques BOHER.

 

Traduit du catalan par Jean Amade.

 

Recueilli dans Anthologie catalane (1re série : Les poètes roussillonnais),

avec Introduction, Bibliographie, Traduction française et Notes

par Jean Amade, agrégé de l’Université, professeur au Lycée

de Montpellier, 1908.

 

 

 

 

 

 

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