Rien ne demeure

 

 

                                       à ma nièce Nicole Moisan.

 

 

Quelques heures, quelques jours ont passé,

accumulant sur la vie, sur nos vies

la terreur ou l’immortalité.

De nouveau, je viens d’ouvrir ma fenêtre

pour écouter l’aubade,

le concert d’une matinée joyeuse.

L’or et la pourpre sont descendus des cimes.

Une brise folle venue des paysages lointains

transporte une mélopée des cieux.

Parmi les effluves, parmi les émanations,

monte une symphonie d’oiseaux ;

petits êtres infatigables qui s’acharnent à la vie.

Avec quelle diligence s’offrent-ils au labeur !

Eux, du moins, semblent avoir compris ;

avoir compris l’utilité des heures qui passent.. .

Conquérants de l’espace,

nobles chercheurs de provende,

j’admire vos élans de survie,

vos soudaines et pures envolées.

 

Toi qui souffres, toi qui n’as plus de courage,

imite les oiseaux : chante sur ta croix.

Apprends d’eux la vaillance et l’amour.

Fais comme eux, espère et travaille.

Je sais ta révolte : « Ma croix est trop lourde. »

Celle du Christ l’était aussi...

La vie t’abandonne ;

ton corps devient seul et meurtri ?

La solitude et l’ennui vont créer des grandeurs.

« L’âme guerrière est maîtresse dans un cœur qu’elle anime ! »

 

L’heure a son énigme et le destin flagelle !

Une affection vient de fuir

fixant mon être dans la pose du rêve...

Et je songe à De Musset :

« Mon cœur me l’avait dit, toute âme est sœur d’une âme ! »

Oui, et le ciel a voulu qu’ici-bas elles se croisent

pour faire naître l’amour ou de grandes amitiés.

Mais pourquoi les départs ?

Pourquoi lorsqu’on aime avoir à dire adieu ?

Le monde sans amour est pourtant méprisable !

Rien de grand ne fut fait sans l’amour...

Pour vaincre la douleur il faut savoir l’aimer.

Le Ciboire et l’Hostie sont les amours d’un Dieu !

Mais l’idéal vient répondre à mes doutes...

Il me convie à des amours plus belles.

Loin de l’argile où ses desseins m’entraînent.

Je regarde sur la terre et n’y vois qu’insolence !

Et, derrière le prisme des belles choses qui meurent,

une voix murmure, inlassable :

« Ici-bas, il n’est rien d’immortel ;

rien ne demeure, tout passe et doit finir. »

 

Seigneur, j’ai compris et je veux mon destin.

J’ai compris qu’en accueillant la souffrance,

il nous faut prendre ton mystère.

Renoncer aux splendeurs que tu voiles au désir !

Sans doute, il est bon d’admirer ta beauté...

« L’enfer est divin dans l’extase du Dante »

et le soleil se pose sur les fleuves de boue.

Cependant, tout doit finir : la poésie comme le rêve

Partout, surgissant des atomes,

mille voix nous précisent :

« Souviens-toi que sur terre il n’est rien d’immortel !

RIEN NE DEMEURE. Tout passe et doit finir.

Tout passe et s’apprête à mourir !’

 

 

Eddy BOUDREAU, La vie en croix, 1948.

 

 

 

 

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