Le jardin des lys

 

 

                                À MAURICE DENIS,

                                Maître des Annonciations merveilleuses.

 

 

Le jardin lumineux sourit au crépuscule.

Frôlant le sable des allées,

Voltigeant des iris aux frêles campanules,

Une joie douce harmonieusement ondule

Et vient mourir sur les massifs bariolés.

Le clair jardin d’amour sourit au crépuscule.

 

La Femme qu’une voix divine va troubler

A quitté la demeure où sa gloire est celée.

Ô lys de Nazareth et fleur de Galilée,

Lys de cristal et d’or,

Ô tendre fleur de rêve aux yeux extasiés...

Elle descend, modeste et douce, pour prier

Dans l’enclos de silence et le muet décor

Où l’oraison fleurit quand la rose s’endort.

 

Ô Vierge dont l’amour saignera sur nos peines,

De l’enclos ignoré où votre rêve luit,

Entendez-vous là-bas la symphonie humaine,

La danse vaine, et la tristesse lasse, et tous les bruits

Dont l’écho dans le soir agonisant se traîne,

Et partout cette voix de l’éternel ennui :

Musique verte et bleue dans le jour qui s’enfuit,

Agent glacé des violons en pleurs,

Flûte limpide et grêle aux étangs de la nuit,

Et chanson violette où meurent

Le soir de rêve et la mélancolie des fleurs ?

Sans quitter votre extase, vous allez,

Calme et tendre et les yeux voilés ;

Mais vous cueillez et vous gardez en votre cœur

Tous ces bruits de la terre folle et désolée

Qui chante et ne sait pas qu’elle attend un Sauveur.

Vous passez, de gloire invisible couronnée.

Ignorante de l’ineffable destinée,

Humblement vous montez vers votre apothéose

En mêlant votre amour au long parfum des roses.

 

                                    *

 

Ô divine métamorphose,

Le jardin bleuissant où s’éteignaient les roses

Devant vous s’est transfiguré,

Un prestige soudain l’anime et le colore.

Tous les rameaux lèvent des feuilles empourprées,

Toutes les corolles sont d’or ;

Cent harpes font couler de fluides accords ;

Le soir léger se mue en triomphale aurore.

Voici que vous assiège une angoisse inconnue.

Ô merveille, ô terreur et cruelles délices

Qui dans la chair et l’âme s’insinuent

Parce qu’un Dieu vers sa créature est venu...

 

Silencieux, d’un vol qui s’atténue,

Gardant que ses ailes frémissent,

Un ange en souriant dans la lumière glisse.

Sa robe est un mélodieux tissu

Fleuri de rose, d’hyacinthe et de narcisse.

Il approche ; le sol inquiet l’a reçu.

La Vierge tremble et ses genoux fléchissent.

Mais à ses pieds, odorant sacrifice,

Une jonchée de fleurs molles s’est épandue.

À la clarté venue des cieux a fait accueil

La gloire du jardin sous ses pas étendue. –

Et l’Ange est descendu

Parmi l’harmonieux frissonnement des feuilles.

 

Mais quel est ce chant d’hyménée

Célébrant la Femme prédestinée ?...

La Vierge clôt les yeux et sa pensée chancelle.

Vain combat, les Cieux l’ont élue,

La voix d’or a chanté pour elle,

Les mots aériens du Paradis saluent

La Femme en qui Dieu s’est complu.

Devant le secret qu’il révèle

L’Ange même frémit comme un lac enchanté.

Faisant courir des vagues de clarté,

Une musique surnaturelle

Éclot sous le doux bercement de ses ailes.

Les Paroles que nul n’a jamais entendues

Flottent sur le jardin en nuée de délices.

Ô Reine des jardins sanctifiés,

Une brise amoureuse a visité les lys.

Par l’amour déliés,

De blancs pétales glissent

Inépuisablement sur le sol, à vos pieds.

 

Et la voix continue de vous glorifier,

Chantant votre destin et l’or du sacrifice...

Liane de tendresse et de fragilité,

La royale invitée

Fléchit sous le miraculeux appel.

En son âme un soleil impérieux ruisselle.

La Vierge aux yeux baissés tremble devant les ailes

Qui tremblent devant elle.

 

Mais, sous le ciel de paix, l’effroi s’évanouit :

Une joie tout à coup l’effleure.

Son amour a volé au Dieu qui s’humilie,

Elle salue l’étrange et suave Vainqueur.

Elle dit : « Je suis la servante du Seigneur. »

C’est assez, l’œuvre est accomplie...

Et tranquille son âme en souriant déplie

Le message annonçant les divines folies.

 

L’oraison a repris son merveilleux essor...

Plus profonde et brûlante encore,

La pensée dans le doux Infini s’est perdue.

Or, craignant de troubler la prière qui vole

Et son rêve éperdu,

L’Ange éteint dans le soir la chanson des corolles.

Sans effort et sans bruit,

Les beaux pieds lumineux se détachent du sol.

Il monte dans le soir, divine luciole,

Emportant avec lui le frisson des violes

Et le concert léger des harpes de la nuit...

Sur le jardin sensible où défaillent les roses

Un silence argenté descend et se repose.

 

                                    *

 

Le beau jardin s’est tu...

Que chanteraient les fleurs quand s’étonne le ciel ?

Les rameaux d’une paix divine sont vêtus.

Comment vous exalter avec des voix mortelles,

Ô vous qui avez entendu

Les paroles de l’Ange à vos pieds descendu

Et la musique au doux bercement de ses ailes ?

 

Émue encor des célestes avés,

Dans le soir tiède où le miracle s’est levé,

Vous pensez tendrement au monde qui s’endort

Et que votre humble parole a sauvé.

À genoux près du cercle d’or

Où l’Ange s’est évanoui,

Votre extase ineffable adore

Le dieu qui vient en vous et qui vous éblouit.

 

Or, prodige nouveau, miraculeuse flore,

Illuminant le soir d’une clarté d’aurore,

De grands calices blancs soudain viennent d’éclore.

Le jardin n’est qu’un champ de lys immaculés...

Vous vous levez de votre extase et vous allez,

Fragile et douce, avec votre neuve auréole ;

Vous glissez comme une musique sur le sol.

Anémone du Ciel et lys de Galilée...

Tandis qu’à pas de songe vous allez,

Contemplant le royal et merveilleux symbole,

Les calices immaculés

Sèment en nuage étoilé

Un pollen d’or autour de votre gloire ailée.

Votre pensée leur sourit et s’envole

Vers le Fils qui louera aux tendres paraboles

L’anémone candide et son regard penchant,

Le doux Sauveur qui aimera le Lys des champs

Et les glorifiera d’une de ses Paroles.

 

 

 

Maurice BRILLANT, Les Lettres, juillet 1925.

 

 

 

 

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