Lettre de mère

 

 

Depuis huit jours, mon cher petit,

Ton silence me désespère ;

Huit jours que tu n’as pas écrit,

C’est tout un siècle pour ta mère.

Chaque matin, le cœur bien gros,

Et le visage d’une morte,

J’écoute, étouffant mes sanglots,

Si le facteur passe à ma porte.

Dès qu’il est là, je fais un bond ;

Tremblante, j’ouvre la fenêtre,

Mais chaque fois, il me répond :

« Rien aujourd’hui ; demain peut-être. »

Toujours demain, toujours plus tard !

Aussi ma vie est un martyre ;

Depuis le jour de ton départ,

Personne ne m’a vue sourire.

Je suis sans cesse auprès de toi

Par la pensée ou par le rêve ;

Je vis dans un mortel effroi

Et n’ai jamais ni paix ni trêve.

Défiguré, les yeux hagards,

Ton fantôme, la nuit, me hante

En d’effroyables cauchemars

Où je halète d’épouvante ;

Tantôt je te vois pantelant

Râler sous une main brutale ;

Tantôt tu m’apparais sanglant,

Le front troué par une balle.

J’ai des remords d’être à l’abri

Dans ma chambre où ronfle le poêle,

Quand tu te couches, toi, mon chéri,

À l’hôtel de la Belle-Étoile,

Et que tu dors, transi de froid,

Dans la capote mal séchée.

Rêvant à ton prochain exploit

Sur la paille de la tranchée !

Je te vois d’ici me grondant :

« Maman ! maman ! tu n’es pas sage ! »

C’est vrai, j’ai tort, et Dieu m’aidant,

Je veux enflammer ton courage.

Va, mon enfant ! Fais ton devoir,

C’est la leçon de cette guerre ;

Plus de stérile désespoir,

La France passe avant ta mère !

Ton honneur, mon fils, est le mien,

Qu’il soit pour toi comme une armure ;

Sois bon soldat, sois bon chrétien ;

Garde, avant tout, ton âme pure,

Afin que ta mère des cieux,

La très Sainte Vierge Marie,

Protectrice de nos aïeux,

Te garde et sauve la Patrie !

Minuit sonne et je vais fermer

Cette lettre sans la relire :

Mais je continue à t’aimer,

Si je m’arrête de t’écrire...

Et maintenant mon grand guerrier,

Mon petit gars aux yeux de flamme,

Je mets au bas de ce papier,

Dans un baiser toute mon âme !

 

 

 

Général BRUNEAU.

 

Recueilli dans Répertoire poétique,

poésies et monologues recueillis

par Camélienne Séguin,

Montréal, 1937.

 

 

 

 

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