Invocation

 

 

Être mystérieux, ange, sylphe ou génie,

Toi qui des longues nuits abrèges l’insomnie,

Et sais nous adoucir les maux les plus amers ;

Toi qui venais jadis, alors que de l’année

L’hiver a fait tomber la couronne fanée,

M’apporter un écho des célestes concerts ;

 

Car tu ne venais pas aux jours où tout rayonne

De beauté, de jeunesse, ou même quand l’automne

A comblé mes celliers de ses dons savoureux ;

Mais pareil à l’ami dont la main se retire

Tant qu’il voit à nos vœux la fortune sourire

Et nous garde un appui pour les jours douloureux,

Quand le ciel était froid, la terre sans verdure,

Que moi-même attristé du deuil de la nature,

Seul, près de mon foyer, je méditais, le soir,

Je te sentais descendre, et, comme à la rosée

La fleur ouvre en été sa corolle épuisée

Mon cœur s’ouvrait à toi tout palpitant d’espoir.

 

Et venait avec toi la vierge au beau visage

Au parler doux et pur qu’on se crée au jeune âge

Et qu’on aime à parer de trésors si charmants

Alors que le bonheur nous apparaît encore

Sous les traits gracieux de celle qu’on adore

Et que d’aimer toujours on fait mille serments.

 

Et, comme un astre ami rayonnant dans mes songes,

À mon œil fasciné par ses brillants mensonge

Apparaissait aussi, reine de l’avenir,

Celle qui consolant Homère en sa vieillesse,

Ovide en son exil, Virgile en sa tristesse,

Consacra de leur nom l’immortel souvenir.

 

Vous m’enivriez alors, elles de leur sourire,

Toi des sons de ta voix mariés à ta lyre ;

Vous berciez mon sommeil en un rêve enchanté,

Et vos mains balançant, enlaçant sur ma tête

Les myrtes de l’amant aux lauriers du poète,

Vous parliez de tendresse et d’immortalité !

 

Et moi, j’étais heureux ! mais quand venaient les heures

Où, Dieu vous rappelant aux célestes demeures,

Ensemble loin de moi vous preniez votre essor,

Semblable à ces parfums qu’une tiède journée

Lègue en mourant au soir, sur mon âme enchaînée

Votre charme divin régnait longtemps encor.

 

Et mon luth résonnait, puis à nos causeries

Quand j’osais confier mes jeunes rêveries,

Oh ! quel plaisir de voir enchantés et surpris,

Des parents adorés, quelques amis d’enfance

Écouter, applaudir en leur douce indulgence

Les gracieux accords que vous m’aviez appris !

 

Mais, voilà que l’automne a jauni les feuillages,

Voilà que de l’hiver ont grondé les orages,

Et mes nuits sans sommeil te rappellent en vain ;

Vainement les frimas blanchissent les campagnes,

À mon foyer désert, de tes belles compagnes

Je ne vois plus briller le sourire divin !

 

M’as-tu donc oublié ? Pourtant doux et facile,

À tes moindres désirs mon luth toujours docile

Chanta dans mes douleurs l’espoir et les beaux jours ;

Et, comme avec amour livrant ses plis de soie,

La banderole cède au vent qui la déploie,

Ses cordes à ton souffle obéirent toujours.

 

Oh ! reviens à ma voix ! que tes riants mystères,

Charmant le long ennui de mes jours solitaires,

Rendent à mon regard son horizon vermeil !

Et ce voile de deuil qui couvre ma jeunesse

Tombera, comme tombe une vapeur épaisse

Devant les premiers feux que lance le soleil !

 

Je ne suis point de ceux que comble la fortune ;

L’existence m’est triste et parfois importune ;

Pour d’autres est la joie et pour moi la douleur ;

Mais, tant que ton flambeau brillera sur ma vie,

Il n’est point ici-bas de destin que j’envie

Car sa lumière sainte est plus que le bonheur !

 

 

 

Jules CANONGE, Les Préludes, 1835.

 

 

 

 

 

 

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