Prière d’enfant

 

 

Bientôt quatre ans : on est presque un homme à cet âge ;

Oui, mais, ayant encor l’innocence en partage

On reste un ange autant qu’on l’a jamais été,

Adorable de grâce et de naïveté.

Et la mère sourit à l’enfant qu’elle couche

Et lui donne de gros baisers à pleine bouche.

Mais, avant de l’étendre en la blancheur des draps,

Elle lui joint les mains et lui lève les bras –

Ses jolis petits bras tout roses hors des manches,

Et, les yeux dans ses yeux bleus comme des pervenches,

« Nous avons été sage aujourd’hui, mon trésor,

Mais il faudra demain être meilleur encor

Pour que je sois de toi bien heureuse et bien fière.

Le bon Dieu t’aidera. Mignon, fais ta prière ;

Donne-lui tout ton cœur, dis-lui qu’il pense à nous. »

L’enfant récite alors Notre Père à genoux,

En scandant chaque mot de sa voix si gentille ;

Puis sa bonté s’étend sur toute la famille

Et forme pour chacun des souhaits différents,

Un pour l’oncle si loin, un pour les grands-parents,

Celui-ci pour maman – affection suprême ! –

Et l’autre pour papa, qui gronde, mais qu’on aime.

Or, ce soir, il hésite au bout de deux ou trois.

Ainsi qu’ivre de miel et de sommeil, parfois,

Une petite abeille au milieu des cellules

S’égare, sa prière, au mépris des formules,

Dans un gazouillement qu’on n’entend presque plus,

Demande... « la santé pour le petit Jésus ».

Gracieux bégaiement d’une âme neuve et blanche,

Dont l’oraison ainsi qu’un filet d’eau s’épanche,

Vivant miroir du ciel, si pur, si peu profond,

Que le premier rayon l’y remonte et l’y fond,

Qui jase à peine auprès d’une rive fleurie

Et bientôt s’évapore en vague rêverie !

Et le bébé s’est tu sur ce naïf adieu,

Appel de l’innocence en faveur du bon Dieu,

Parole qui, là-haut, vers l’Être inaccessible,

Vole plus sûrement qu’une flèche à la cible,

Doux murmure indistinct qui dans le même instant

Expire sur la lèvre, et dans le ciel s’entend !

L’Éternel règne en paix : un oiseau le protège.

Ridicule soutien ! Aumône sacrilège,

Et de la part d’un homme insulte au Créateur !

Jésus sourit, sachant quel en était l’auteur,

Car il a des trésors de bonté pour l’enfance

Dont la candeur et le charme jamais ne l’offense.

C’est pourquoi sans retard, du côté du Verseau,

Il descendit du ciel et vint à ce berceau,

Franchissant d’un seul pas l’infini sous ses voiles.

L’enfant dormait : son rêve en fut rempli d’étoiles ;

Une voix inconnue, un souffle aérien

Passa : – « Merci, mignon ; Jésus se porte bien. »

 

 

 

Joseph CASTAIGNE.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1894.

 

 

 

 

 

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