Sérénité

 

 

Le soleil luit, flambeau géant du monde ;

Le ciel est bleu, la mer plus bleue en cor.

Du haut foyer, une chaleur féconde

Sur l’Océan s’épanche en nappes d’or.

 

Sous sa splendeur, chaque goutte s’embrase

D’un vif éclair qui dans l’air se confond ;

Et l’on dirait que la mer en extase

Sourit au ciel, et que le ciel répond.

 

L’astre en rayons se répand sur la lame,

Qui les reçoit et les rend reflétés ;

Et, se jetant tous deux flamme pour flamme,

Dans l’étendue ils mêlent leurs clartés.

 

Ô poudroiement de lumière flottante,

Dont la blancheur nous fait fermer les yeux !

Par toi se fait la solennelle entente

Entre la mer recueillie et les cieux.

 

L’immensité se repose ; un nuage

Qui tout à coup poindrait dans le ciel bleu

Verrait bientôt ses menaces d’orage

S’évanouir sous mille traits de feu.

 

Deux infinis se contemplent. C’est l’heure

Où doucement, au soleil de midi,

Le flot bercé, qu’un léger souffle effleure,

Vient se chauffer sur le sable attiédi ;

 

Où, sous l’azur immobile en sa gloire,

Les pêcheurs las, s’aidant de l’aviron,

Mirent dans l’eau, qui derrière eux se moire,

Leur voile où passe à peine un lent frisson.

 

Ainsi, parfois, le cœur au cœur se donne ;

Une ombre entre eux s’élèverait en vain :

De l’un à l’autre, un large amour rayonne

Dans un accord grandiose et divin.

 

De tous côtés vient sur eux se répandre

Une clarté qui vaincrait le soleil ;

Les passions ne leur font point entendre

Leur grondement, aux vents d’hiver pareil.

 

Comme, à travers l’infini de l’espace,

De longs fils d’or vont des mers au zénith,

Tout, pour ces cœurs qu’un seul désir enlace,

En un concert mystérieux s’unit.

 

Ainsi, battus tous deux parles tempêtes,

Gouffres égaux, océan, cœur humain,

Vous retrouvez dans ces célestes fêtes

L’oubli d’hier et l’espoir de demain.

 

Qui sondera vos effrayants abîmes,

Où nul ne va, même inconnus de vous ?

On vous a vus terribles et sublimes

Dans vos transports et vos sombres courroux,

 

Et Tonne sait d’où la grande nature

Sentait venir les plus poignants sanglots,

Des cœurs broyés par quelque âpre torture,

Ou des rochers où se brisaient les flots.

 

Mais, plus encor qu’aux heures de tourmente

Dont votre fond obscur est agité,

Vous êtes beaux dans cette paix charmante.

Dans la lumière et la limpidité.

 

Pour le bonheur des hommes et leur joie,

Ah ! loin des cris du sauvage ouragan,

Fasse le ciel que souvent on vous voie,

Calme des cœurs, calme de l’océan !

 

 

 

E.-J. CASTAIGNE.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1892.

 

 

 

 

 

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