Éveil

 

 

                                  I

 

Mon œil timide à ta lumière étrange

                Fuit la première fois,

Revient, s’écarte, et ce furtif échange

                – Ô forme devant moi ! –

D’un doux halo t’atténue et te frange.

 

Cette prunelle enfin s’épanouit

                Et dissipe ma fièvre.

Je sens fondre le trouble de ma nuit.

                Voici que de ta lèvre

S’offre le sourire et s’ouvre le fruit.

 

Tes noirs cheveux baignent l’or de mes rêves,

                Le fil de tes sourcils,

De ce front clair arrondissant la grève,

                Ton sourire indécis

À mon insu vers le large m’enlève.

 

Tantôt j’ai peur de mon nouveau plaisir

                Dans ta proche lumière,

Tantôt je m’étonne et ne peux saisir

                Qu’elle m’est familière.

Viens-tu de moi ? N’es-tu que mon désir ?

 

À ta démarche alors comme à l’esquif

                Qui dans la vague oscille,

Mon aviron se fait plus attentif,

                Trace un sillon agile

Qui la gagne et tourne et s’en rend captif

 

Vers tes bras déliés, vers tes mains fines,

                Tes flancs à peine mûrs,

Comme le vent amoureux des collines,

                D’un trait toujours plus sûr,

Avec la nuit mon âme se dessine.

 

 

                                   II

 

Mais ta forme glisse et s’en va

                Dans la forêt profonde

Et par instants les arbres se confondent

                Avec le rythme de tes pas.

Je te perdrai, pâlissante lumière,

                Fleur de ma nuit première,

Ombre vivante, incomparable UNA !

 

      Quel est ce nom que je te donne,

Tout jaillissant des sources de ma voix,

                Vague et si plein de toi

      Que jardin et ciel en résonnent ?

Il t’a frappée ; il suspend ton essor,

                Tu livres ton accord

      Au silence qui t’environne.

 

      Le temps s’écoule par mon cœur.

Je sens mourir en lui ma solitude.

                Ton âme enfin prélude,

      Cristalline dans la hauteur,

Suave appel, réponse à mon langage,

                Et reflet de l’image

      Que mon âme est au Créateur.

 

      Tu me connais depuis l’aurore.

Tu m’attendais bien avant mon éveil.

                La courbe du soleil

      Avant mon jour te fit éclore.

Et ta mémoire, aux ombres du jardin,

                Et de l’astre au jasmin,

      Me révèle ce que j’ignore.

 

      Ô parole, feux du discours

Que mon esprit, ce patient orfèvre,

                Assemble sur tes lèvres !

      Ô sagesse que tour à tour

Chacun enseigne à l’autre et qui s’exprime,

                Comme Dieu sur la cime

      En un verbe formé d’amour !

 

      Le silence vêt toute chose :

C’est l’impalpable neige de la nuit

                Que recueillent les roses.

                Je viens et je ne puis.

Attends encor que je trouve où je suis !

      Mais tu souris et tu reposes...

 

 

 

René-Salvator CATTA, Jardin nuptial.

 

Recueilli dans Les poèmes du foyer.

 

 

 

 

 

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