Aux environs d’Antioche

 

 

Nous avons été fort surpris à Antioche quand nous avons appris la nouvelle lubie de Julien.

Apollon en personne lui a expliqué qu’il ne voulait pas rendre d’oracles au sanctuaire de Daphné (le beau malheur !) avant qu’on eût nettoyé son temple. Ses voisins, les morts, l’incommodaient, a-t-il déclaré.

Il y avait en effet à Daphné plusieurs tombeaux. L’un d’eux contenait le saint, l’admirable, le triomphant martyr Babylas, gloire de notre Église.

C’est à lui que pensait le faux dieu ; c’est lui qu’il redoute. Tant qu’il le sentait proche, il n’osait lâcher ses oracles (les faux dieux tremblent devant nos martyrs).

Le sacrilège Julien s’est mis tout de suite à la besogne. Il était hors de lui ; il hurlait : « Prenez-le, enlevez-le, ôtez-le tout de suite, ce Babylas ! M’entendez-vous ? Il dérange Apollon. Sortez-le ! Déterrez-le immédiatement ! Emportez-le où vous le voudrez ! Mettez-le dehors ! Trêve aux sottes reparties : Apollon a ordonné de nettoyer son temple ! »

Nous l’avons prise, nous l’avons transportée ailleurs, la sainte dépouille. Nous l’avons prise, nous l’avons transportée avec amour et respect.

Et ça lui a servi à grand-chose, au temple ! Un peu plus tard, un feu terrible a fait rage. Le temple a brûlé et Apollon avec lui.

L’idole est en cendres. Elle n’est plus bonne qu’à jeter aux balayures.

Julien enrage, et il répand le bruit (ça lui ressemble !) que c’est nous, les chrétiens, qui avons mis le feu. Crie tout ton saoul : il n’y a pas de preuves... Il enrage, et c’est l’essentiel.

 

 

 

Constantin CAVAFY.

 

Tiré de Présentation critique de Constantin Cavafy,

suivie d’une traduction des poèmes

par Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras,

Gallimard, 1958.

 

 

 

 

 

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