L’enfant prodigue

 

 

Pour exprimer combien un profond repentir

Est agréable au ciel qu’il va toujours fléchir,

D’un voile ingénieux entourant ses paroles,

Souvent le Fils de Dieu parlait en paraboles ;

Ses figures plaisaient à des esprits émus ;

Or, un jour à la foule ainsi parla Jésus :

 

Un homme avait deux fils ; l’un d’eux lui dit : Mon père,

Donne-moi, s’il te plaît, ma part héréditaire.

Le père à ses enfants partage tous ses biens ;

Le plus jeune aussitôt réalise les siens,

Et dans l’ardent désir de voir et de connaître,

Il s’éloigne, insensé, des lieux qui l’ont vu naître !...

Prodiguant des trésors avec peine amassés,

Dans les hasards du jeu ses biens sont dispersés,

Et tous ces faux plaisirs que lui montraient ses songes,

Font briller à ses yeux leurs décevants mensonges ;

L’or comme en un creuset se fondit sous ses pas.

Enfin, un jour d’ivresse, au sortir d’un repas,

Sur un coup malheureux sa ruine s’achève,

Et de son patrimoine il lui restait.... un rêve !

Alors, lui qui naguère habitait des châteaux,

Est réduit tout-à-coup à garder des pourceaux,

Et sans habits, sans feu, presque sans nourriture,

Il enviait souvent leur sort et leur pâture.

 

Mais le remords naissant dans son cœur criminel,

Il se prit à songer au foyer paternel,

À ce toit où régnaient la paix et l’abondance,

Et qu’il avait quitté dans sa folle démence.

C’en est fait, se dit-il, je partirai demain !

Il arrive.... Son père était sur le chemin,

Que ne devine pas le cœur tendre d’un père ?

Celui-ci l’attendait.... Il l’embrasse, il le serre....

Son fils est à ses pieds... Dans mes bras ! dans mes bras !

Dit-il, et sur-le-champ apprêtez le veau gras !

Des anneaux à mon fils ! une robe de soie !....

La plus belle.... la mienne.... et soyons dans la joie !

Or, le fils premier-né s’approchant dit : Pourquoi,

Père, ne fais-tu pas tant de choses pour moi ? –

Ne t’en afflige pas, mon enfant, dit le père,

Et comme nous, ici, viens et fais bonne chère !

C’est un jour d’allégresse et de félicité,

Car ton frère était mort, il est ressuscité !

 

Ainsi parlait le Christ. Et moi, pauvre poète,

Qui me fais aujourd’hui son indigne interprète,

Vingt fois, à ce récit qui rouvre mes douleurs,

Attendri, j’ai mouillé la page de mes pleurs,

Je suis ce fils puni, je suis ce fils rebelle

Qui regrette trop tard la maison paternelle.

Ah ! si je puis jamais y retourner un jour,

Mon Dieu, fais que mon père, ému de mon retour,

Quand tremblant à ses pieds je verserai des larmes,

S’écrie, en oubliant mes torts et ses alarmes :

C’est un jour d’allégresse et de félicité,

Car mon fils était mort, il est ressuscité !

 

 

 

Barthélemy CHAIZE, Jésus sur la terre, 1865.

 

 

 

 

 

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