Maison abandonnée

 

 

Eux sont loin maintenant, et le logis demeure.

On dit qu’il est humide et par le temps miné :

Nul n’a compris, hélas ! qu’il se désole et pleure

Tous les êtres chéris qui l’ont abandonné.

 

Un lierre l’a couvert d’un manteau de verdure,

Comme pour en voiler l’éternelle douleur ;

Nul œil indifférent ne doit voir la blessure

Qui ronge lentement la maison jusqu’au cœur.

 

Et souvent, dans les nuits où souffle la tempête,

Lorsque le vent s’attaque à ses murs crevassés,

La maison sent la mort qui passe sur sa tête

Et se dit que peut-être elle a souffert assez...

 

Quelquefois, cependant, l’abandonnée espère

Qu’ils n’ont pas oublié, qu’ils reviendront un jour,

Et voyant sous le vent trembler l’herbe légère :

« Les voilà, pense-t-elle, enfin c’est le retour ! »

 

Mais le jour a passé, déjà le soir est proche ;

Personne n’est venu, ce n’était rien encor.

De l’angelus au loin, grave, tinte la cloche,

Et la vieille maison pleure son bonheur mort.

 

Puisque ceux qu’elle aimait déjà l’ont oubliée,

Puisqu’ils ne songent plus au vieux foyer noirci

Dont la vie à la leur est à jamais liée,

Le reste des mortels peut l’oublier aussi.

 

Elle n’abritera désormais plus personne

Et demeurera seule avec leur souvenir,

Car elle ne veut pas qu’un autre pas résonne

Aux lieux où son amour n’a pu les retenir.

 

 

Juin 1880.

 

 

 

Alice de CHAMBRIER,

Au-delà, La Baconnière, 1934.

 

 

 

 

 

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