La veuve

 

(d’après Martin Luther)

 

 

 

La vieille ne dort pas, elle prie solitaire,

Tard dans la nuit à la lueur de sa lampe ;

« Donne à notre gracieux seigneur, ô mon Dieu,

Très longue vie, je t’en supplie !

                        Misère enseigne prière. »

 

Le gracieux seigneur qui l’a épiée,

Pense tout simplement qu’elle est ivre ;

Il daigne entrer en personne dans la pauvre demeure

Et d’un ton bon enfant interroge la grand-mère :

                        « Misère enseigne prière ? »

 

« Huit vaches, seigneur, étaient ma propriété ;

Votre auguste grand-père nous saigna à blanc ;

Il prit pour lui la meilleure de mes vaches

Et ne se soucia plus de moi.

                        Misère enseigne prière.

 

« Je le maudis, seigneur, tant j’étais folle,

Si bien que Dieu, pour me punir, m’exauça ;

Il mourut ; et sur le trône monta

Votre père qui me prit deux de mes vaches.

                        Misère enseigne prière.

 

« Lui aussi, de toutes mes forces, je le maudis ;

Comme je le lui souhaitais, il se cassa le cou ;

Vous êtes alors vous-même monté sur le trône

Et m’avez pris immédiatement quatre de mes vaches.

                        Misère enseigne prière.

 

« Que votre fils vienne encore par là-dessus,

Il me prendra sûrement ma dernière vache !

Donne à notre gracieux seigneur, ô mon Dieu,

Très longue vie, je t’en supplie !

                        Misère enseigne prière. »

 

 

 

Adalbert de CHAMISSO, Choix de poésies,

traduction et introduction de René Riegel,

Aubier, 1950.

 

 

 

 

 

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