Saint François d’Assise

 

 

Voilà ce qui est arrivé une fois à un homme de bonne volonté.

 

Ce n’est pas François tellement par lui-même qui m’intéresse et laissons là, si vous le voulez bien, le XIIe siècle et Assise et Bernadone.

Ce qui existe pour tous le temps et ce qui vaut un petit peu la peine d’être regardé,

C’est ce témoin en présence de Dieu qui réagit avec une évidente sincérité,

C’est cet homme gauchement et naïvement peu à peu comme il peut qui apprend une leçon surhumaine,

C’est ce qu’on voit de ce négociateur de l’Abîme en conversation avec l’Indigène.

Qui regarde François il n’y a plus moyen de penser à autre chose quand même on ne peut le voir que de dos.

Il est notre champion,

Il tient bon là où nous ne serions arrivés un moment que pour dégringoler aussitôt.

Quand il arrache ses vêtements et se met tout nu,

Quand il apporte des pierres une par une à cette église qui était toute branlante et fondue,

Quand il se met tout seul en croisade et prêche l’Évangile aux Teurs.

Autant de coups d’État contre le silence et l’interprétation naïve comme il peut du difficile interlocuteur.

Mais c’est en vain que tu essaies ceci ou ça, c’est à toi seul, pauvre petit frère, qu’on en veut.

Voici François, la bouche ouverte comme un mort qui est mort dans la colère de Dieu.

(Employons les mots à l’envers, là où l’expression défaille,

Et comment appeler cette chose qui nous retourne le cœur et nous arrache les entrailles

Et qui se fait place en nous de force avec une intolérable brutalité ?

– Et ce coup sourd en nous tout à coup un seul coup qui succède à notre parfaite immobilité.)

Il n’y a pas de plus grande pauvreté que d’être mort.

François a tellement donné son âme qu’il ne conserve pas son corps.

C’est en vain qu’on lui demanderait une explication, il n’a plus rien à nous dire.

Il est la propriété de quelqu’un qui ne sait pas expliquer mais remplir.

Il n’est plus tout entier que donation, une espèce d’époux et de nouveau-né,

Il marche dans la vision de tous les hommes ainsi qu’un homme aviné.

Une espèce d’époux gémissant et riant et chancelant et blessé de cette gloire dont il est le consort inexplicable.

La Prudence lui a ouvert sa maison, la Sagesse l’a invité à sa table.

Il n’a pas besoin de vêtements ni d’argent, il n’y a pas besoin

Pour celui qui possède éternellement aujourd’hui de ces choses qui sont préparées pour demain.

Et certes il n’a rien à dire contre le raisin, fraise et figue qui sont des fruits sucrés et délectables.

Mais celui qui habite avec la gloire n’a pas besoin de manger.

Il a compris le monde maintenant qu’il lui est devenu étranger.

Maintenant que les choses n’ont rien à craindre de lui, maintenant qu’il n’a plus rien à en faire et à leur demander,

Comme elles s’ouvrent pour lui, comme elles deviennent pour lui transparentes et fraternelles,

Dieu le promène comme au paradis dans le mystère des créatures naturelles.

Comme c’est beau ! Comme c’est important ! et l’homme au milieu de tout ça grossièrement qui ne comprend rien et ne sait pas !

Mon Dieu, vous n’avez rien fait en vain et comme ce serait dommage de laisser se perdre tout ça !

Toute cette beauté qui ne sert à rien, et toute cette Italie dans l’azur, à quoi est-ce qu’elle peut servir

Si ce n’est à dilater en nous l’insatisfaction et le désir ?

Comment jouirions-nous de la vie alors que l’éternité est absente ?

Comment jouirions-nous de la vie alors que notre amour est absente ?

Sans cesse au fond de la forêt se plaint la colombe gémissante.

La plaie que vous faites en manquant, et la soif au fond de nous qui crie, et l’expansion comme quatre membres de notre prière et de notre péché,

C’est cela qui arrache puissamment Jésus du fond de Dieu disloqué !

Il y a mieux que ce que les Juifs ont trouvé en bois pour clouer Dieu le Fils.

François est réquisitionné pour qu’il serve dans sa chair au Crucifix.

Et ce qui descend en chancelant de l’Alverne et qui montre en secret à Claire cette plaie et cette cicatrice,

C’est Jésus Christ avec François une seule chose vivante et souffrante et rédemptrice !

 

 

En mer. Océan Indien, 27 janvier 1926.

 

 

 

 

Paru dans Études franciscaines en octobre 1926.

 

Recueilli dans Louis Chaigne,

L’anthologie de la renaissance catholique : Les poètes,

Alsatia, 1938.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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