Excelsior

 

 

Montons vers les sommets ; loin des bruits de ce monde,

Enfiévrés et troublants, cherchons la paix profonde.

Montons, car vers l’azur, splendide et solennel,

Le temps, comme un ami, nous parlera du ciel.

Par les secours humains quand l’âme est délaissée

La solitude sert le cœur et la pensée ;

Montons : quand nous aurons gravi le dur sentier,

Le repos sera doux et le plaisir entier.

 

Devant nous sont debout, parlant de nos ancêtres,

Qu’ils virent autrefois, les chênes et les hêtres :

Des siècles sont passés, et, prêts pour les combats

Que livrent aux sommets la neige et les frimas,

Les voilà comme étaient dans les joutes antiques

Nos aïeux toujours droits et toujours magnifiques.

Sous leurs rameaux, pleins d’ombre et de recueillement

Les cœurs se trouvent pris d’un sourd tressaillement ;

Craignant nos lieux impurs et nos âmes distraites,

L’âme des jours anciens habite ces retraites :

Prenons dans ces grands bois l’esprit de nos aïeux

Et marchons sans trembler, étant fermes comme eux.

Sous nos regards s’étend déjà l’espace immense,

Le jour paraît plus pur et l’air devient moins dense ;

Vers les grands horizons par nos cœurs entrevus

Marchons sur les rochers où saignent nos pieds nus.

Marchons : un lourd brouillard sur la plaine indécise

Comme un linceul funèbre étend sa teinte grise,

Et dans l’immensité, les hommes, cette fois

Égarés et perdus, vont se trouver sans voix.

Des bruits d’en bas plus rien n’arrive, dans l’espace

Un souffle étrange et doux nous caresse la face ;

Nous voici reposés, nous qui sommes si peu,

Sur les débris d’un monde et sous la main de Dieu.

 

Sur les monts élevés où brille la lumière

Notre âme, libre enfin, s’appartient tout entière ;

Après des biens sans nom, dignes de nos mépris,

Nous découvrons enfin des trésors pleins de prix ;

L’azur profond sourit, l’esprit de Dieu nous touche ;

Fronts émus, nous chantons le Ciel à pleine bouche :

« Ici, l’homme, Seigneur, n’a pas encor péché,

Son cœur du monde entier s’y trouve détaché ;

D’un regard vaste et sûr, comme d’un promontoire,

Il cherche les splendeurs où siège votre gloire,

Et le vide l’entraîne, et, sous un blond soleil,

Le monde qu’il saisit demeure sans pareil.

Ô monde méconnu si cher à la pensée !

Profondeurs où notre âme est doucement bercée !

Vaste horizon qu’emplit un admirable jour !

Pourquoi, cœurs altérés de lumière et d’amour,

Ne point pouvoir quitter pour votre aube sereine

Ce mont baigné d’éther que nous touchons à peine ?

On est si près du ciel, Seigneur, sur ce granit

Majestueux et fort où plane votre esprit !... »

 

Mais dans l’obscurité plongeant déjà les plaines,

L’astre du jour descend vers des plages lointaines :

Rayonnant des splendeurs que nous trouvons ici,

Ne pouvant plus monter, descendons comme lui.

Descendons ; pour la lutte autrefois redoutée

Notre âme est prête, étant par Dieu réconfortée.

 

 

 

Alexis CLAVERIE.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1895.

 

 

 

 

 

 

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