Cécile

 

ÉPISODE D’UN POÈME INTITULÉ : MA MÈRE.

 

 

Souvent dans mon enfance elle aimait à me dire

Une histoire naïve, inimitable à l’art,

Mais touchante et sublime, alors que son regard,

Son geste, son accent, son céleste sourire

Peignaient des sentiments que l’art ne peut décrire,

Et qui de son récit jaillissaient au hasard.

Elle avait une sœur, vierge candide et pure,

Qui tenait plus de Dieu que de la créature,

Ange qu’à son amour ravit un prompt trépas.

Qui glissa sur la terre, et qui n’y toucha pas.

Jamais esprit plus pur, jamais formes plus belles ;

Elle avait tout d’un ange, âme et corps, moins les ailes,

Les ailes, qu’en venant vers nous elle quitta

Pour les trouver aux cieux, quand elle y remonta.

Elle est morte à quinze ans dans une paix profonde,

Avant d’avoir ouvert son âme chaste au monde ;

Morte, ne connaissant que le toit paternel,

Que l’église des champs dont elle ornait l’autel,

Que les pauvres venant recevoir le Dimanche

L’aumône qui tombait de sa main frêle et blanche,

Et que la croix de pierre au coteau se penchant,

Qui la voyait prier chaque soleil couchant.

Cécile, ce doux nom, ce nom plein d’harmonie

D’une femme qui fut sainte par le génie,

Qui sentant dans son sein des arts le noble feu,

Y consumait son âme et l’élevait vers Dieu

Dans des chants qu’écoutait la terre recueillie,

Mais qu’elle dérobait au monde où tout s’oublie,

Pour aller dans les lieux au Seigneur consacrés

Épancher son génie en des hymnes sacrés ;

Cécile était son nom, et, comme sa patronne,

Elle savait des chants pour Dieu, pour la madone.

Pour les saints du hameau qu’on chômait chaque mois ;

Et quand près de l’autel elle élevait la voix,

Aux accents échappés de cette âme angélique

Qui peignaient sa candeur dans un pieux cantique,

Les naïfs habitants du village, à genoux,

Disaient : « Un séraphin est venu parmi nous ! »

 

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Un soir près du foyer qui chaque jour rassemble

Et l’aïeule et la mère et les deux sœurs ensemble,

D’un tissu précieux nuançant les couleurs,

Cécile sous ses doigts faisait naître des fleurs,

Et, les regards baissés en guidant son aiguille,

Rêveuse, elle écouta discourir sa famille.

Assise au coin du feu dans l’antique fauteuil,

L’aïeule aux cheveux blancs disait avec orgueil

Comment son noble époux, au passage d’un prince,

Présidait les états de toute la province,

Et comment de son siège il avait fièrement

Réprimandé le prince au nom du parlement.

« Oh ! je fus ce jour-là reine de la Provence !

Mais ma vie est finie et le trépas s’avance.

Je n’ai plus, disait-elle, espoir dans l’avenir,

Je ne vis désormais que par le souvenir. »

– La mort ! chassez bien loin cette pensée amère,

S’écriait Henriette (Henriette, ma mère) ;

Dans vos petits-enfants ne renaissez-vous pas ?

L’an passé, lorsqu’au bal vous suivîtes mes pas,

Dites, n’étiez-vous pas heureuse et rajeunie,

Quand, pour ouvrir la fête ouverte à son génie,

Cet homme aux traits hideux, mais à l’esprit si beau,

Que vous nommez, je crois, comte de Mirabeau,

Pour danser avec lui tout à coup m’a choisie ?

Chaque femme en devint pâle de jalousie ;

Vous seule, me suivant d’un regard triomphant,

Partageâtes l’orgueil de votre heureuse enfant.

Et l’aïeule charmée embrassait Henriette,

Dont rame s’éveillait innocente et coquette,

Et qui brodait, rieuse, une robe de bal,

Rêvant fête et succès dans son cœur virginal.

 

Cécile à côté d’elle écoutait sans comprendre

Des projets de plaisir qu’elle n’eût osé prendre ;

Le monde était pour elle encore sans douceur :

Lorsque dans une fête on conduisait sa sœur,

Résistant aux désirs mondains de son aïeule,

Aux champs, près de sa mère, elle demeurait seule ;

Et sa main répandait sur le pauvre oublié

L’argent qu’à se parer elle aurait employé.

C’est que son âme pure, ineffable mystère,

Sentait qu’elle n’avait qu’à passer sur la terre,

Et que l’exil commun pour elle raccourci,

Rapide, en peu de jours devait finir ici.

On voyait au souris de sa bouche si pâle,

À son teint transparent et blanc comme l’opale,

À la veine d’azur qui cernait ses doux yeux,

Qu’elle devait bientôt s’en retourner aux cieux.

Ce soir-là l’incarnat se jouait sur sa joue.

Comme un rayon pourpré qui sur l’onde se joue,

Et sur son chaste front, de cheveux blonds voilé,

Répandait mollement son reflet ondulé.

Quelquefois s’échappait de sa poitrine frêle

La toux qui la tuait et la rendait plus belle,

Quand vers sa joue alors son sang se refoulait.

Sa mère lui tendait une tasse de lait,

Et la vierge y trempait sa lèvre pure et rose ;

Puis, reprenant la fleur sur son ouvrage éclose,

Ignorante d’un mal dont on meurt sans souffrir,

Elle faisait gaîment son aiguille courir.

Ce n’était point l’écharpe ou la robe émaillée

Qu’elle voulait ce soir finir dans la veillée,

C’était le voile blanc d’un calice divin

Où le prêtre en sang pur transformera le vin,

Cachant le corps du Christ sous l’éclat du ciboire,

Et le vase sacré sous les plis de la moire.

 

Artiste consacrée à l’autel du Seigneur,

Surpassant la peinture en relief, en fraîcheur,

Cécile avait brodé sur l’étoffe onduleuse

L’agneau pascal portant la croix miraculeuse.

Quelques gouttes de sang s’échappaient de son sein

Et tombaient sur des fleurs à l’entour du dessin :

Puis, de ses ailes d’or couronnant ce symbole,

La colombe au tableau formait une auréole.

La vierge avec amour soignant chaque détail,

Avait presque achevé son féerique travail ;

Il ne lui restait plus à broder qu’une feuille

Des roses où le sang rédempteur se recueille ;

Mais, pour la terminer, le fil vert et soyeux

A manqué tout à coup à ses doigts gracieux ;

La bobine d’émail de soie est dépouillée,

Il ne lui reste pas une seule aiguillée.

Comment faire ?... Il est tard ; le village est lointain.

Son ouvrage à l’église est attendu demain.

Demain, jour de Noël, elle a fait la promesse

De l’offrir à l’autel à l’heure de la messe ;

Et voilà qu’arrivée à la dernière fleur,

La soie est épuisée.... Au coffret de sa sœur

Elle n’a pu trouver la couleur nécessaire

Pour achever la feuille. « Ô mon Dieu ! comment faire ? »

Et la naïve enfant a des pleurs dans les yeux.

« Pourquoi te lamenter, agir vaudrait bien mieux.

Dit alors Henriette ; allons dans les mansardes

Chercher dans le bahut rempli de vieilles hardes :

Il renfermait aussi de la soie à broder.

Allons, prends ce flambeau, montons sans plus tarder ! »

Et les deux jeunes sœurs s’élancent, et joyeuses,

Traversent un grenier aux murailles poudreuses.

Dans un angle, un bahut en cuir noir damassé,

S’étalait au milieu des débris du passé,

De ces meubles vieillis qu’une mode nouvelle

Jette au rebut après un service fidèle.

Ainsi nous délaissons nos parents, nos amis

Qui sont auprès de nous dans la tombe endormis.

 

Pourtant ce vieux bahut à couverture noire

Au château rappelait une touchante histoire :

Une enfant du hameau, mariée au Brésil,

N’avait trouvé là-bas qu’une terre d’exil.

Quand la mort amena sa dernière journée :

« Je veux dormir, dit-elle, aux lieux où je suis née ! »

Et ses filles en pleurs jurèrent qu’au hameau,

Auprès de sa famille elle aurait un tombeau.

Pour accomplir ce vœu, traversant l’onde amère,

Elles vinrent en France ensevelir leur mère.

Mon aïeul au château les reçut, et leurs jours

Sous ce toit protecteur achevèrent leur cours.

À leur mort ma grand’mère entendit les créoles

Lui murmurer tout bas quelques vagues paroles...

« De notre gratitude acceptez ce tribut... »

Disaient-elles, du geste indiquant le bahut ;

Puis leur mourante voix manquant à leur pensée

S’éteignit sans finir la phrase commencée.

Lorsque dans le bahut on voulut regarder,

On découvrit au fond de la soie à broder

Sur mille pelotons de couleurs variées ;

Puis des flèches, des arcs, des aigrettes ployées,

Des pagnes de sauvage, et ces objets divers

Reconnus sans valeur, furent livrés aux vers ;

Et l’on avait laissé dormir la vieille caisse

Jusqu’au jour où les sœurs vinrent, dans leur détresse,

Chercher le fil soyeux nécessaire à finir

Ce voile qu’à l’autel demain on doit bénir.

Parmi les pelotons la nuance est trouvée ;

La première aiguille est d’abord enlevée,

Et la soie apparaît dans toute sa fraîcheur.

Tandis qu’on la dévide, ô surprise ! ô bonheur !

Un petit lingot d’or caché sous la pelote,

S’échappant de la soie à mesure qu’on l’ôte,

Retombe sur le sol, et bondit bruyamment.

Les sœurs restent sans voix dans leur étonnement.

Dans chaque peloton un lingot se recèle,

À leurs pieds leur trésor grossit et s’amoncelle ;

Alors formant tout haut mille vœux différents,

Elles courent porter cet or à leurs parents.

 

L’aïeule, présidant un conseil de famille,

En donna la moitié à chaque jeune fille ;

Et Cécile au village alla le lendemain

Distribuer sa part aux pauvres du chemin.

Mais lorsque du bahut elle conta l’histoire,

À son naïf récit on ne voulut pas croire :

On criait au miracle en voyant ce trésor ;

On disait qu’elle avait changé la soie en or,

Qu’elle était une sainte ici-bas descendue,

Et que bientôt au ciel elle serait rendue....

On dit vrai, car un an à peine s’écoula,

Qu’en souriant, vers Dieu Cécile s’envola.

 

 

 

Louise COLET.

 

Recueilli dans Femmes-poètes de la France,

anthologie par H. Blanvalet, 1856.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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