Les souffrances du sommeil

 

 

 

Avant de m’étendre sur mon lit, ce ne fut jamais mon habitude de prier en remuant les lèvres ou agenouillé ; mais en silence, par degrés lents, je recueille mon âme dans l’amour, je ferme les paupières dans une humble confiance, dans la résignation et le respect, sans concevoir un seul vœu, sans exprimer une pensée ! dans un sentiment unique de supplication : sentiment, imprimé sur toute mon âme, de ma faiblesse, mais non d’abandon, puisqu’en moi, autour de moi, en tout lieu, sont la Force et la Sagesse éternelles.

 

Mais hier soir j’ai prié à voix haute, dans l’angoisse et dans la torture, me dressant pour échapper à la foule démoniaque de formes et de pensées qui me suppliciaient : lumière sinistre, cohue piétinante, certitude d’outrage intolérable, où ceux que je méprisais, ceux-là seuls étaient forts, – soif de vengeance, volonté impuissante toujours frustrée, et pourtant toujours ardente ; désirs mêlés étrangement au dégoût, fixés sur des objets étranges ou odieux ; passions monstrueuses, mêlée affolante, et sur le tout honte et terreur ! actes à cacher qui n’étaient point cachés, et dont je ne pouvais savoir, dans leur confusion extrême, si je les subissais ou les commettais ; car tous respiraient crime, remords ou calamité, et qu’ils fussent de moi ou d’autres, toujours persistait la même peur étouffant la vie, la même honte étouffant l’âme.

 

Ainsi deux nuits passèrent : l’épouvante de la nuit assombrissait, accablait la journée à venir. Le sommeil, grâce universelle, m’apparaissait comme la pire calamité de la maladie. La troisième nuit, où mes propres hurlements m’avaient réveillé de mon rêve atroce, accablé de souffrances étranges et sauvages, je pleurai comme l’eût fait un enfant ; et après avoir ainsi ramené mon angoisse à un état plus calme, « de tels châtiments », dis-je, sont réservés aux natures le plus profondément souillées par le crime, puisque, sans cesse, ils doivent à jamais déchaîner l’insondable enfer intérieur où elles contemplent l’horreur de leurs actes, où, les connaissant et les réprouvant, elles les souhaitent pourtant et les commettent. Pareilles souffrances conviennent certes à tels hommes ; mais pourquoi, pourquoi s’abattre sur moi ? Être aimé, tel est mon seul besoin, et ceux que j’aime, je les aime en vérité.

  

 

 

Samuel Taylor COLERIDGE, 1803.

 

Recueilli dans Coleridge, Seghers, 1963.

 

Traduction de G. d’Hangest.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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