Compassion

 

(D’APRÈS LE COMTE ALEXIS TOLSTOÏ)

 

 

UNE âme, en s’envolant dans les hauteurs des cieux,

Tenait obstinément ses paupières baissées,

Comme dans un regret absorbant ses pensées ;

Et lentement des pleurs s’échappaient de ses yeux.

 

Ses larmes, en tombant dans les espaces vides,

Derrière elle, formaient de lumineux sillons

Dans l’azur, où naissaient tout à coup des rayons

Inconnus, qui semblaient des étoiles humides.

 

Les astres en passant près d’elle, dans leur cours,

Surpris, en un tel lieu, d’une telle détresse,

Lui dirent : « D’où vient donc ton amère tristesse,

Pauvre âme, et quel chagrin te fait pleurer toujours ? »

 

Elle leur répondit : « J’ai laissé sur la terre,

En partant, bien des cœurs meurtris par la douleur,

Succombant, sans pitié, sous le poids du malheur,

Opprimés de tourment, torturés de misère !...

 

« Ici, dans les splendeurs divines, les élus,

Se mêlant au concert de la sainte phalange,

Jouissent dans la paix d’extases sans mélange

Et goûtent sans répit des bonheurs absolus.

 

« Là-bas, sur terre, on lutte, on combat. À toute heure,

On craint un mal nouveau. Ce cruel souvenir

M’obsède et me poursuit. Je ne puis le bannir.

Créateur, laisse-moi retourner où l’on pleure !

 

« Laisse-moi retourner sur terre, ô Créateur,

Pour compatir encore à l’humaine souffrance,

Pour rendre à qui faiblit en chemin l’espérance,

Pour dire à qui gémit un mot consolateur ! »

 

 

 

Paul COLLIN,

Trente poésies russes,

1844.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net