Aux poètes

 

 

Hé bien ! non, hé bien ! non, je ne vous comprends pas !

Vous vous plaignez, ô grands, que j’admire d’en bas,

Infime, humble, et pourtant plus grande que vous n’êtes !…

Vous tous que je révère, ô divins ciseleurs

Des vers taillés dans l’or ; et vous les fiers penseurs,

Vous qui formez l’élite, artistes et poètes ;

 

Tons vous pleurez sur vous, sur votre cœur blessé,

Sur la joie envolée et l’amour délaissé,

Sur l’amie oublieuse – ou sur votre âme errante

Qui n’a pas su rester dans le nid que deux bras

Lui faisaient doux et chaud ! Tous vous pleurez tout bas

Ou vous criez tout haut que la vie est méchante !

 

Hé bien ! non ! je ne puis vous comprendre et saisir

Pourquoi ce dégoût vain après ce vain désir,

Pourquoi ces pleurs de rage après ces cris de joie,

Pourquoi cette amertume immense en votre cœur,

Pourquoi ces fronts pâlis et ces frissons d’horreur,

Où toute volupté dans le mépris se noie !...

 

N’est-ce donc pas assez d’avoir connu l’amour

D’un élan merveilleux jusqu’au divin séjour

Où le dieu rayonnant sourit à ses fidèles,

N’êtes-vous pas montés, frémissants de bonheur,

N’avez-vous pas goûté l'orgueilleuse douceur

De planer sur la joie et la douleur mortelles ?

 

N’avez-vous pas baisé des yeux brillants et doux ;

N’avez-vous pas pressé dans vos deux mains, à vous,

Des mains qui se tendaient toutes à vos tendresses ?...

N’avez-vous pas rêvé, le soir, à cœur gonflé

Tout vibrant de bonheur récent, tout affolé

De penser, les yeux clos, aux futures ivresses ?

 

N’avez-vous donc cueilli la fleur d’or de l’amour

Que pour la voir faner et pâlir en un jour

Que pour que son arôme ineffable s’efface ?...

Que pour fouler aux pieds ses pétales brisés,

Et maudire et railler tous les cœurs abusés

Qui n’ont pas su garder la fleur fraîche et vivace !

 

Eh ! bien, non, je ne puis vous comprendre, hé bien non !

Car si l’amour demain devait fuir – oh ! pardon,

J’ai peur de t’offenser, dieu cher que je blasphème ! –

Le parfum de la fleur embaumerait mes jours

Et du souvenir doux et cher de mes amours

Je ferais du bonheur encor – sans anathème !…

 

Si vous pouvez maudire après avoir aimé

Si vous trouvez le mot qui raille ou qui décrie

Sur la lèvre qui dit, dans un soupir pâmé,

Le mot divin « Je t’aime » à la lèvre chérie !...

 

Si votre cœur regrette un seul de ces instants

Qui font toute une vie infiniment heureuse ;

Si votre chair est froide aux souvenirs brûlants ;

Si rien n’émeut votre âme endormie ou haineuse !...

 

Si vous pouvez lancer des brocarts de mépris

À la vie ineffablement belle et sacrée

Qui vous donna l’Amour !... le seul trésor sans prix,

La joie unique, entière, incorruptible et vraie !...

 

En suivant de si bas votre essor acclamé

Dans les cieux où la gloire attend les grandes âmes

Je vous le dis, ô grands ! en vos beaux vers de flammes

Vous avez dit l'amour :

                                   Vous n’avez pas aimé !

 

 

 

Marguerite COPPIN.

 

Extrait de Poèmes de femme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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