MUSE ET POÈTE

 

 

                                  À Madame de Federoff.

 

 

J’ÉCOUTAIS au fond de moi-même...

Mon cœur tout seul n’a point battu,

Hôte invisible, hôte que j’aime,

Qui donc es-tu, qui donc es-tu ?

 

Âme de mon âme, ô génie,

Ange de lumière et d’espoir,

Qui romps, par ta clarté bénie,

Les ténèbres de mon ciel noir.

 

Toi qui me dictes de ces choses

Que tu lis en passant, je crois,

Sur les tendres feuilles des roses.

Ou sur les mousses, dans les bois.

 

Toi dont l’ardent regard attise

Le feu dans mon être allumé,

Où qui répands, comme une brise,

En mon sein, ton souffle embaumé,

 

Toi qui, tendre et mystérieuse,

Me consoles dans mes douleurs,

Et qui sembles, capricieuse,

Te plaire à voir couler mes pleurs.

 

– Enfant, je suis une immortelle,

Que Dieu plaça sur ton chemin ;

Pour t’abriter, il fît mon aile,

Pour te servir, il fit ma main.

 

Et, plus fidèle que ton ombre,

Pareille à ton ange gardien,

Je te suis dans ta route sombre,

Mon cœur est le frère du tien !

 

Mais de tes larmes je m’enivre ;

Telle, sans rosée une fleur,

Sans elles je ne saurais vivre ;

Je suis fille de la douleur.

 

Comme le brouillard sur l’étoile,

L’ombre sur le rayon du jour,

Ma tristesse jette son voile

Sur la poésie et l’amour.

 

C’est moi, quand ton cœur se déchire,

Qui viens doucement le panser :

Moi, dans l’angoisse ou le délire,

Qui viens en mes bras te bercer.

 

Et les fugitives ivresses

Pleines de rêves enchantés,

Les sourires et les caresses

Aux ineffables voluptés,

 

Enfant, c’est moi qui te les donne.

Sous tes pas, j’effeuille un par un

Tous les fleurons de ma couronne

Et je te verse leur parfum.

 

C’est moi, malgré la froide neige,

Que sur ton front sèment les ans,

C’est moi qui garde et qui protège

La fleur d’un éternel printemps.

 

C’est moi ta compagne dernière,

Moi qui, pour t’aider à mourir,

En baisant ta pâle paupière,

Attendrai ton dernier soupir.

 

Et quand tu seras endormie,

Sur mon aile où tu te suspends,

Je t’emporterai, pauvre amie,

Vers le beau ciel d’où je descends.

 

 

                      Maria COURT D’AIGUEBELLE.

 

                       Paru dans La Sylphide en 1898.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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