La brise

 

 

Fille du soir et de l’aurore,

Souffle heureux d’espoir ou d’amour,

Pourquoi baiser l’onde sonore,

Quand expire et renaît le jour.

 

Au matin, quand pâlit l’étoile,

Pourquoi venir du haut des cieux

Caresser doucement la voile

Sillonnant les flots écumeux ?

 

Chaque soir, lorsque la gondole

Glisse sur la cime des flots,

Et fugitive, ondule et vole

Sous l’aviron des matelots ;

 

Dis-moi, compagne du Zéphire,

Pourquoi raser ainsi les mers ?

Pourquoi comme un tendre sourire,

De ton souffle embaumer les airs ?

 

Oh ! viens-tu, portant sur tes ailes

L’âme de ceux qui ne sont plus,

Exprimer des plaintes nouvelles

À mes sens doucement émus ?

 

Quand la lune, sereine et pâle,

Étend sur les gazons flétris,

En gerbes d’argent et d’opale,

Ses rayons au calme des nuits ;

 

Lorsqu’aux chênes de la prairie,

Elle raconte quelquefois

Ce secret de mélancolie

Qu’elle aime à confier aux bois ;

 

Brise, pourquoi triste et plaintive

Gémir ainsi dans les roseaux ;

Pourquoi balancer sur la rive,

Les saules courbés en berceaux ?

 

D’où vient le lugubre murmure

De l’automne au fond du grand bois ;

Au deuil de la vieille nature,

Pourquoi mêler ainsi ta voix ?

 

Dis-moi, sous le pont en arcade,

Pourquoi te plaindre chaque soir,

Lorsque sur la sombre cascade,

L’ombre des nuits revient s’asseoir ?

 

Pourquoi dans la forêt brumeuse,

Exhalant des soupirs confus,

Rappeler à l’âme rêveuse

Le songe d’un jour qui n’est plus ?

 

Quand sous le mât tremblant qui crie,

Les intrépides matelots

Invoquent la Vierge Marie

Au bruit sourd et grondant des flots.

 

Pourquoi venir douce et légère,

Au sein des vagues en courroux,

Annoncer, brise messagère,

Un jour plus serein et plus doux ?

 

Oh ! c’est que la Vierge t’envoie,

Consolatrice des douleurs,

Dans notre aime éveiller la joie,

De ton souffle essuyer nos pleurs.

 

Le Seigneur quand l’homme l’implore,

Comme un ange mystérieux

Te lance au lever de l’aurore,

Et bientôt te rappelle aux cieux.

 

Amante de la rêverie,

Tendre soutien des malheureux,

Après les songes de la vie,

Tu reviens pleurer avec eux.

 

Sur moi répands ton pur dictame,

Ce baume heureux, calme des maux ;

Mon cœur se consume et mon âme

Aspire à la paix des tombeaux.

 

Quoi ! déjà tu fuis ma paupière ;

Tu reprends ton vol vers les cieux ;

Brise, de ton aile légère,

Touche mon luth harmonieux.

 

Tu frémis, la corde soupire,

Elle rend un flexible accord :

Moi, je meurs comme un son de lyre,

Et mon luth a prédit mon sort...

 

Ainsi que la fleur éphémère

Qui se fane au sein du vallon,

Ainsi qu’une onde passagère,

J’ai roulé sans bruit et sans nom.

 

Aux feux du soir et de l’aurore,

Quand je dormirai pour jamais,

Brise, ô reviens, reviens encore

Gémir autour de mon cyprès !

 

 

 

Symphor DAUDORÉ.

 

Paru dans L’Anémone, annales romantiques en 1837.

 

 

 

 

 

 

 

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