La petite Lucy

 

 

Petits enfants, dans mon village,

Sous l’humble toit, bien loin d’ici,

Est une fille de votre âge

Qu’on nomme la bonne Lucy.

La tendresse dont elle abonde

Est, comme aux premiers jours du monde,

Pleine de céleste candeur ;

Et, dans sa beauté qui s’achève,

Elle est ravissante comme Ève

Sortant des mains du Créateur.

 

Parents, amis, chacun l’adore ;

Ajoutons qu’elle a de l’esprit,

Mais qu’elle en a tant qu’elle ignore

Tout ce qui fait qu’on la chérit.

Joyeuse, proprette, légère,

Dans son rôle de ménagère,

C’est une femme de trente ans ;

Ses blancs sabots en bois d’érable

Sont nets à mettre sur la table :

Lucy n’a pourtant que dix ans.

 

Déjà sa robe a mainte année ;

Elle a subi bien des hivers,

Est-elle tant soit peu fanée ;

Soit à l’endroit, soit à l’envers ?

Non : elle a, malgré toute épreuve,

Les grâces d’une étoffe neuve ;

Elle n’a pas le moindre pli,

Pas la tache la plus légère ;

Mais l’on y voit d’une lingère

L’art et le talent accompli.

 

Pleurs et dessins en symétrie,

Dans son raccommodage, tout,

Ressemble à la coquetterie

D’une toilette de bon goût.

À voir la brune chevelure

Qu’elle possède riche et pure,

Comme une fille de marquis ;

Ses yeux qu’aucun chagrin n’effleure,

Qui parlent du ciel à toute heure ;

Et nous traitent toujours d’amis ;

 

À voir son visage, où lumière,

Sa foi luit sans nuage aucun,

Et ses lèvres d’où la prière

Se répand comme un doux parfum,

On se dit : « L’aimable personne ! »

Mais, voyez, quand elle s’y donne,

Son œuvre de chaque moment,

Son ménage que l’on admire,

Ce petit, ce paisible empire

Que lui concède sa maman !

 

Sous ses doigts experts, tout s’y range

Et tout parle pour dire aux yeux :

« Voyez comme, grâce à cet ange,

» Nous brillons sous des doigts soigneux ! »

Des objets, le premier visible,

On le devine, c’est la Bible,

Dont les feuillets toujours ouverts

S’étalent, près de la fenêtre,

Sur la ronde table de hêtre,

Et sont lus à moments divers.

 

C’est là qu’au sein de sa famille,

Après les grands travaux, le soir,

Avec respect, la jeune fille

Lit le saint livre du devoir.

Elle en fait sortir l’espérance,

Un baume pour chaque souffrance,

Pour tout le monde le bonheur.

Puis, chacun oubliant sa peine,

Prie et va dormir, l’âme pleine

De la douce paix du Seigneur.

 

 

 

Constantin DAUJAT.

 

Paru dans La France littéraire, artistique, scientifique en 1859.

 

 

 

 

 

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