L’enfant et le printemps

 

 

                                      I

 

Il fait beau. Le printemps en souriant s’incline

Sur la bercelonnette où dormait Jacqueline ;

Jacqueline s’éveille et sourit au printemps.

Entre eux commence alors de beaux jeux palpitants,

Où, pour plaire au bébé qui gazouille de joie,

Le printemps danse, rit, se dérobe, ou s’éploie,

Et le bébé qui meut ses deux bras gauchement

Veut saisir ce danseur lumineux et charmant.

À cause de leurs ris, de leur enfantillage,

La chambre fait le bruit des nids dans le feuillage ;

Un frais parfum de fleurs arrive du jardin ;

Tout semble éclore... Et, moi, je retrouve soudain,

En voyant mon enfant rire avec la lumière,

Les yeux que j’aurais eus, au printemps de la terre,

Quand l’homme émerveillé faisait de chaque jour

Un miracle nouveau créé par son amour.

 

 

                                     II

 

Dans le pré, sur un lit d’herbe chaude, elle joue.

Une touffe de thym lui caresse la joue

Et sa lèvre où le rire a fait luire un rayon,

Fleur qui s’ouvre au soleil, attire un papillon.

Parfois, dans l’eau claire de ses prunelles, passe

L’ombre brève d’une aile en fuite dans l’espace ;

Parfois il se reflète au miroir de ses yeux

La ligne des coteaux ondulant sous les cieux.

L’innocent enjouement de son frêle visage

Devient le point choisi de tout le paysage

Et donne une pensée humaine à l’horizon.

Et tandis que, penché sur son lit de gazon,

Je ne veux voir que dans ses yeux la plaine blonde,

Je sens que le plus beau paysage du monde

Ne prouve pas d’un Dieu le pouvoir triomphant,

Comme l’éveil de l’âme en un regard d’enfant.

 

 

                                    III

 

Quoique roses et lys autour d’elle s’inclinent

Au milieu du plus noble horizon de collines,

Que le jour soit le prince ébloui du ciel bleu,

Je ne vous cherche pas dans la nature, ô Dieu !

Ce n’est pas pour la fleur, pour l’arbre, ou la lumière

Que mon cœur vous adresse aujourd’hui sa prière !

Je n’offre pas l’encens timide de ces vers

Au Créateur indifférent de l’univers,

Mais au Père qui fait luire une âme immortelle

Dans les premiers regards d’une jeune prunelle.

Et je demande à sa bonté qui nous défend

De garder son éclat à cette âme d’enfant,

D’en agrandir dans ses regards le paysage

Et de faire de plus en plus de son visage

Quelque chose de pur, de brillant, de pareil

Au beau miroir d’un lac qui fait face au Soleil.

 

 

 

                                                                  André DELACOUR.

 

                                                    Paru dans La Muse française en 1923.

 

 

 

 

 

 

 

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