Deux hommes

 

 

Deux hommes sont en moi, l’un jeune, l’autre vieux.

Le vieux, c’est ma pensée à qui rien de la vie

Ne cache son mensonge et ne fait plus d’envie,

Et qui doute, inquiet, si la tombe vaut mieux.

 

Le jeune, c’est ma chair, ma chair inassouvie,

Que j’ai sevrée au temps de l’avril radieux,

Qui demande son dû, qui souffre, et dont les yeux

Réclament l’aube ardente à ses baisers ravie.

 

D’un long cri de révolte il emplit la maison

Pendant que le vieillard songe, amer et livide ;

Ô douleur ! et je sens que tous deux ont raison.

 

Et j’en meurs ; car sitôt que l’un, de joie avide,

Peut saisir une coupe, avant qu’il ne la vide,

L’autre y verse un dégoût plus fort que du poison.

 

 

Paul DELAIR, La Vie chimérique.

 

Recueilli dans les Suppléments à l’Anthologie

des poètes français contemporains, 1923.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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