Sur la mort de M. Deshoulières

 

 

Au milieu des ennuis, au milieu des alarmes,

Où de nouveaux malheurs me plongent tous les jours,

Quelle puissante main, par d’invincibles charmes,

Des pleurs que je répands vient suspendre le cours ?

Où suis-je ? et dans mon cœur quel calme vient de naître ?

Qui me rappelle enfin à la tranquillité ?

Hélas ! c’est toi, Seigneur, dont l’immense bonté

M’arrache au désespoir qui fait te méconnaître,

            Dans l’excès de l’adversité.

 

      Daigne achever ce grand ouvrage ;

      Ou, si je dois toujours souffrir.

Fais que de mon salut mes peines soient le gage :

Ne m’accable de maux que pour te les offrir.

            Affermis si bien mon courage,

Qu’au milieu des périls, qu’au plus fort de l’orage,

Je conserve la paix que je viens d’acquérir.

La raison qui de l’homme est le plus beau partage.

            Et dont il se pare toujours,

            Est quelquefois chez le plus sage,

      Dans les vives douleurs, d’un inutile usage,

            Si tu ne viens à son secours.

 

Établis dans mon âme une vertu constante ;

Épargne-moi, Seigneur, les douloureux remords

Que me donnent souvent les coupables transports

            D’une douleur impatiente.

Je suis faible, et je sens que je ne puis sans toi

Soutenir tout le poids du malheur qui m’accable ;

Tout ce qu’il y a d’affreux, de plus insupportable.

            Se présente sans cesse à moi.

 

Sans cesse le cœur plein d’une crainte mortelle,

Le cœur déjà percé des plus funestes coups,

Je crois te voir armé d’un rigoureux courroux ;

      Et, quoiqu’à tes ordres fidèle,

Je crois toujours me voir traiter en criminelle.

Hé ! qui ne le croirait ? Par de nouveaux malheurs

La Fortune et la Mort à me nuire obstinées,

Ont sur moi sans relâche exercé leurs fureurs ;

Et je n’ai pu trouver, au milieu des douceurs

            Qu’offrent les plus belles années.

            Le loisir d’essuyer mes pleurs.

Tristes réflexions qui revenez sans cesse,

Faut-il qu’à vos horreurs mon cœur soit immolé ?

Éloignez-vous de moi, dévorante Tristesse,

Laissez-moi le repos que le Seigneur me laisse ;

Et cessez d’accabler mon esprit désolé.

Mais, quoi ! vous redoublez ? je sens que je frissonne.

Quel abîme de maux à mes yeux se fait voir ?

            Ah ! si ta grâce m’abandonne,

Je suis encor, Seigneur, en proie au désespoir.

 

 

 

Mlle DESHOULIÈRES.

 

Recueilli dans Femmes-poètes de la France,

anthologie par H. Blanvalet, 1856.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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