Le dimanche sur la ville

 

 

CE poème naquit par un soir de printemps

Où mai sous le ciel clair chantait les fleurs nouvelles

Et les voix du clocher, doucement solennelles,

Disaient leur angélus pieux infiniment.

 

J’étais parti tout seul, au sortir de l’église,

Afin d’aspirer l’air des plaines et des monts.

Paisiblement assis sur une pierre grise

Voici ce que j’ai vu du côté des maisons :

 

Un groupement confus de toits multicolores

Dentelant le ciel rose à l’horizon prochain ;

Des touffes d’arbres verts, érables, trembles, pins,

Coiffant de gais châteaux que le couchant mordore ;

Quelques drapeaux hissés dans le vent calme et doux,

Tout cela surmonté de hautes cheminées

Qui fument sur semaine, actives à journée ;

C’est la cité prospère et bonne de chez nous.

 

Elle est si belle à voir au repos du dimanche.

Alors que le bruit sourd des usines s’est tu

Et que ses travailleurs ont mis leurs vestes blanches

Et leurs chapeaux de fête et leurs souliers pointus !

Ils s’en vont à la messe ensemble et s’en reviennent

De même, en ricanant joyeux comme des rois.

Car ils ont conservé les coutumes anciennes

Et n’ont pas désappris la gaîté d’autrefois.

 

Et quand le soir invite aux intimes causettes

Entre amis et voisins, on voit sur les perrons

Les gens se raconter ce que dans les gazettes

Ils ont lu tour à tour : grèves de forgerons,

Nouvelles de la guerre et courrier de province,

Un peu de politique, un conte ravissant,

Tout ce qui, jour par jour, sort de ces livres minces

Où s’émarge l’histoire d’un pays naissant.

 

Et, quand on s’est tout dit des rumeurs journalières

Dont les femmes feront, chacune à sa manière,

Le commentaire effiloché durant huit jours,

Un grand gas vient s’asseoir avec sa violoncelle

Et module au balcon la berceuse d’amour

Qu’il apprit couramment, quelque beau soir, de celle

Dont il a le portrait dans un petit carnet...

Et dans le calme bleu dont se baigne la ville,

Dans l’écho de la nuit fraîchissante qui naît,

Bat le cœur simple et bon de la cité tranquille !

 

 

                                               VICTORIAVILLE, juillet 1911.

 

 

 

Alphonse DESILETS, Mon pays, mes amours, 1913.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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