Un soir d’hiver

 

 

J’AI poussé le verrou de ma porte et je veille

Auprès du feu qui danse au fond du poêle ouvert.

Et la sève ronronne au sortir du bois vert

Et ma chatte, à mes pieds, se prélasse et sommeille.

 

D’innombrables pensers naissent dans mon cerveau :

Souvenirs éloignés de fêtes enfantines,

Noëls au timbre clair de cloches argentines,

Charme infiniment suave et toujours nouveau.

 

Je songe aux anciens jours pleins de naïve joie,

De rêves que le temps a vus se dissiper ;

Et cette vision de mon espoir trompé

Est comme une ombre au mur que le foyer rougeoie...

 

J’étais guerrier ; j’allais, le front bardé de fer,

Aux pays sarrasins porter la guerre, en quête

De gloire et de hauts faits, avide de conquête,

Orgueilleux des blessures dont j’aurais souffert !

 

J’étais riche ; j’avais de bons vieux domestiques

Aux portes du château, qui souriaient aux gens.

Et le soir, nous tenions des propos engageants

Ma mie et moi, rêvant sur de vieux bancs rustiques !...

 

Dans le calme qui règne en ma maison ce soir,

Ces rêves d’autrefois me reviennent en foule ;

Et leur file, à mes yeux, lentement se déroule.

Comme de vieux amis qui reviendraient s’asseoir.

 

Or, je me sens un peu de honte tout à l’heure

De les voir revenir, eux que j’ai tant gâtés,

Et de ne pouvoir leur offrir à mes côtés

Que la simplicité de mon humble demeure.

 

Mais, soudain, un passant qui va, le sac au dos,

Par cette nuit criarde et froide de Norvège,

Dans l’ombre que mon toit dessine sur la neige

S’arrête et me contemple à travers les rideaux.

 

 

 

Alphonse DESILETS, Mon pays, mes amours, 1913.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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