Ballade mystique

 

PAR UN CRÉPUSCULE D’AUTOMNE AU PARC HOWARD

 

 

 

De par delà les monts orientaux et roses

Dont les pieds sont déjà souillés d’obscurité,

Parmi de somptueux décors d’apothéoses,

Clair et transi, mais revêtu d’un ciel d’été,

Voici venir le soir sur le parc déserté

Où sont flétris les lis et sont mortes les roses.

Le bosquet solitaire a l’air d’un reposoir :

Dans l’allée, où l’averse a mis sa signature,

Seules, des feuilles trébuchent, avant de choir

Dans la sérénité brune qu’a la nature

En cette nuit où, surgie à travers la ramure,

La pleine lune luit ainsi qu’un ostensoir.

 

Entre les gorges de l’Orford, de grandioses

Et changeants fleuves d’or déversent leur clarté

Dans l’océan de paix qui submerge les choses.

Un poème que nul encore n’a chanté

Et dont le rythme enclot toute l’immensité,

Monte, exhaussant le cœur des êtres ; et tu n’oses

Plus répéter l’appel troublant des sens, ô soir,

Qui naguère parlais d’amour et d’aventure

Aux chairs que torturait ton chaud cilice noir !

Mais tout désir serait une infâme imposture,

Maintenant que, le jour apaisant son murmure,

La pleine lune luit ainsi qu’un ostensoir.

 

Je ne veux plus chercher les effets et les causes ;

Il n’est plus qu’un besoin en moi : la sainteté !

Comment me souviendrais-je encor des jours moroses

Et des jours clairs, si ce n’était pour regretter

D’être ce que je suis, au lieu d’avoir été

Un humble clerc chantant des versets et des proses ?

Oh ! sentir que la vie est bonne encor ! Pouvoir

Extraire de ce soir que la ville sature

De sa suie, un parfum d’enfance. Apercevoir

Tout le cortège enfui de ma jeunesse pure,

Parce que là, dans l’ombre encore à peine obscure,

La pleine lune luit ainsi qu’un ostensoir.

 

                              ENVOI

 

REINE DES CIEUX, MARIE, acceptez de me voir

Et que votre bonté gracieuse rature

Tout ce mauvais passé qui fait mon désespoir.

Je porterai votre scapulaire de bure !

Voyez ! Pour alléger le tourment que j’endure,

La pleine lune luit ainsi qu’un ostensoir.

 

 

 

 

 

Alfred DESROCHERS, À l’ombre de l’Orford.

 

Paru dans Notre-Dame de Lyre :

L’hommage des poètes canadiens-français,

anthologie réalisée par Sœur Paul-Émile

et éditée par les Sœurs grises de la Croix,

à Ottawa, en 1939.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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