Prière à la bonne Mère

 

 

Mes pieds ensanglantés sur les cailloux des routes,

Bonne Mère, sont las d’errer toujours sans but,

Et voici que mon âme a soif, dans ses déroutes,

          De l’onde où jadis elle but.

 

Elle reconnaît bien qu’elle vous fut ingrate

Et qu’elle a même, un jour, rejeté vos manteaux

Pour aller se draper aux villes sur l’Euphrate

          Dans les sept péchés capitaux.

 

Mais elle vient quand même et, dans son espérance,

À vous, la « séductrice des cœurs innocents »,

Elle ose offrir ce vieux cœur, vase sale et rance

          Où ne gît que l’amour des sens.

 

Elle vous le présente ainsi qu’une outre vide,

Se rappelant encor les noces de Cana.

Oh ! dites comme alors, de votre voix placide,

          Au fils que votre chair forma :

 

« Fils, ils n’ont plus de vin ; l’ultime urne est tarie ;

Voyez, les invités ont soif. Que diront-ils

Si votre ami se trouve en cette pénurie ?

          Et quels injurieux babils ! »

 

Et s’il vous répondait : « Mon heure n’est venue,

Femme, pourquoi d’ailleurs t’occuper de cela ? »

Ordonnez aux valets flânant dans l’avenue :

          « Faites tout ce qu’il vous dira. »

 

Et je sais qu’en mon cœur l’amour et l’espérance,

Avec la foi sereine à l’instant reviendront

Et que le pli haineux creusé par la souffrance

          Sera disparu de mon front !

 

Et je redeviendrai cet enfant, Bonne Mère,

Allant, chaque dimanche, au pied de votre autel

Dans l’église rurale aux murs gris de poussière

          Les doigts noués à son missel.

 

Cet enfant qui jouait sa vie à qui perd gagne,

Qui voyait au péché l’unique déshonneur,

Que bénissait un vieux, vieux curé de campagne

          Rêvant de lui pour successeur !

 

J’oublierai le mensonge itératif du livre ;

Je reverrai la paix rustique des couchants

Et peut-être qu’avec un plaisir neuf de vivre,

          Retrouverai-je d’anciens chants,

 

D’anciens chants aux accords naïfs, tels ces cantiques

Lancés par des gosiers rugueux de paysans,

Mais où résonneraient les tendresses mystiques

          De mon passé d’avant treize ans !

 

 

 

Alfred DESROCHERS.

 

Paru dans Notre-Dame de Lyre :

L’hommage des poètes canadiens-français,

anthologie réalisée par Sœur Paul-Émile

et éditée par les Sœurs grises de la Croix,

à Ottawa, en 1939.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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