Une mère à son dernier enfant

 

STANCES SUR LA MORT DU DERNIER ENFANT

DE MADAME DE CHÊNEDOLLÉ

 

 

            Toi, dont j’avais pleuré la vie,

Mais que mon triste cœur sut aimer sans effort,

Après quelques soleils tu nous es donc ravie,

            Ma fille, et je pleure ta mort !

 

            Pauvre enfant, que tu m’étais chère !

Que d’amis indiscrets ont mal jugé mon cœur !

Ma perte à bien des yeux n’a semblé que légère,

            On m’en faisait presque un bonheur !

 

            Ah ! plutôt, bien que sans partage,

Chacun de nos enfants possède notre amour,

Il semble qu’en secret on aimait davantage

            Celui qu’on pleure sans retour.

 

            Je te pleure, ô ma Théonie !

Mourir ainsi pourtant est-ce donc un malheur ?

Vivre ne fut pour toi qu’une longue agonie,

            Qu’un seul et long cri de douleur.

 

            Tu ne connaissais que les larmes :

Jamais dans ton sommeil tu n’avais reposé :

Un sourire jamais ne calma nos alarmes,

            Même de tes pleurs arrosé.

 

            Mais en vain d’une fièvre lente

Je suivais le poison dans tes veines glissé ;

En vain, si je l’offrais à ta lèvre brûlante,

            Je sentais mon sein repoussé.

 

            J’espérais toujours : et l’aurore

Te trouvait dans mes bras, doux et triste fardeau ;

Et dans mes bras le soir te retrouvait encore ;

            Tu n’avais pas d’autre berceau.

 

            Souvent, pour charmer ma tristesse,

Ton pauvre père aussi venait te voir souffrir :

Et tes regards plaintifs nous répétaient sans cesse ;

             « Tu ne veux donc pas me guérir ! »

 

            Tu souris ; je fus consolée :

Mais ton premier sourire avait trompé mes yeux ;

Ta jeune âme avec lui s’est au ciel envolée :

            C’était un sourire d’adieux.

 

            Tu ne voulais plus d’une terre

Où le bonheur semblait n’être pas fait pour toi :

La vie, à son essai, te parut trop amère ;

            Tu reculas avec effroi.

 

            Pourtant l’avenir moins sévère,

Ma fille, eût réservé pour toi quelques douceurs ;

Notre amour, mes baisers, la lyre de ton père,

            Et les caresses de tes sœurs.

 

            Dis-moi, des voûtes éternelles,

Cher ange, à mes accents serais-tu descendu ?

J’entends passer autour de moi comme des ailes….

            Ah ! c’est toi ! tu m’as répondu !

 

 

 

Louis-Charles-Richard DUBOURG D’ISIGNY (1793-1841), Poésies.

Recueilli sur le site de la Bibliothèque municipale de Vire.

 

 

 

 

 

 

 

 

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