À une hirondelle

 

 

Bonjour, ma petite hirondelle :

Allons, jase, et me renouvelle

Ton charmant caquet du matin,

Si gai, si joli, tel enfin

Qu’il doit plaire à tout honnête homme.

Quant au scélérat, tu lui dis :

« Tu seras pris ; tu seras pris. »

Oui, cela sera : c’est tout comme ;

Du ciel on ne se moque pas.

De tes chants et de tes ébats

Goûte en liberté tous les charmes ;

Sur tes petits sois sans alarmes ;

De doux mets fournis leur repas ;

Avertis-moi bien de l’orage :

Suis les zéphyrs, crains nos frimas ;

Sois heureuse en tous les climats !

Si tu pars, adieu, bon voyage !

Mais tu reviendras l’an prochain

Recommencer ton petit train

Au haut de mon troisième étage.

Puis, nos emplois nous reprendrons :

Toi, sous des tours, sous des corniches,

Tu chasseras aux moucherons ;

Sur le Parnasse, aux environs,

Moi, je prendrai des hémistiches.

Comme toi je monte et descends.

Tu fends l’air, parcours les étangs,

Vas, reviens, sans lasser ton aile ;

Et tu nous fais voir, en volant,

Œil de feu, petit ventre blanc,

Plume noire et fuite éternelle.

T’a liberté m’est naturelle ;

Comme toi, j’annonce et pressens,

Et, dans mes rêves innocents,

Je me fais petite hirondelle.

Je te vois souvent dans tes nids

Porter la proie à tes petits,

Par leur bec avide invoquée.

Jadis, à mes pauvres enfants,

Riants, jouants et m’appelants,

J’apportais aussi la becquée.

À nos goûts, nos mêmes penchants,

Soit à la ville, soit aux champs,

Nous demeurons toujours fidèles.

Mais, hélas ! je n’ai point tes ailes

Pour me dérober aux méchants.

Que de fois, en mes plus beaux ans,

Recueilli par ma tendre mère,

Sous sa fenêtre hospitalière,

Dans mon lit j’entendis tes chants !

Tous deux nous avions des enfants.

Je m’en souviens bien, je fus père.

Et, vers le soir, dans nos vallons,

Sous la voûte et près du vitrage

De quelque église de village,

Avec un de mes compagnons,

J’allais chercher tes jolis sons

Et la douceur de leur présage.

On eût dit que dans le saint lieu

Tu venais rendre grâce à Dieu

De t’avoir donné la pâture,

Ta vitesse et ton vol charmant.

Du bonheur source immense et pure,

N’est-ce pas lui dans la nature

Qui met partout le mouvement,

Et la vie, et le sentiment ?

N’est-ce pas lui, pauvre hirondelle,

Qui d’un monde à l’autre t’appelle,

Qui te fait jouer dans les airs,

Comme moi jouer dans mes vers ?

Lui qui jette au loin sous la neige,

Pour les rennes de la Norvège,

Et la mousse et ses velours verts,

Qui creuse au Lapon son asile,

Et par qui le chameau docile

Franchit le brasier des déserts ?

 

Mais cet esprit qui nous inspire,

Dont on suit le charme et l’empire,

D’où vient-il ? le savons-nous bien ?

C’est un charme qui nous entraîne ;

C’est un don : témoin La Fontaine,

Qui l’avait, et n’en savait rien.

Comme toi, gentille hirondelle,

Chétif et mince, sur mon aile,

Je vole errant dans l’univers.

Nous puisons dans les mêmes sources ;

Car par instinct tu fais tes courses,

Et par instinct je fais mes vers.

 

 

 

DUCIS.

 

Recueilli dans

Recueil gradué de poésies françaises,

par Frédéric Caumont, 1847.

 

 

 

 

 

 

 

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