À une jeune paysanne

 

 

Dans une rue infecte, au bord d’une fenêtre,

Une fleur à l’étroit s’efforçait de paraître

 Brillante et colorée, à peine à son réveil,

Sous un ciel obscurci, brumeux et sans soleil.

Elle offrait tristement sa tige frêle et nue

Au vent froid qu’apportait de temps en temps la nue.

Elle cherchait, hélas ! tout en se lamentant,

Sur son cruel destin un rayon bienfaisant

Qui, par grande pitié, pût de sa douce flamme

Lui rendre la vigueur et ranimer son âme.

Si fraîche et si coquette, elle allait, pauvre fleur !

Mourir, en son printemps, de gêne et de douleur,

Sans même avoir vécu le temps que vit la rose ;

Elle allait au matin, encor à peine éclose,

Mourir ! Oh ! c’est que l’air doux et pur de nos bois

Lui manquait en ces lieux ; et puis, comme autrefois,

Elle n’entendait plus la chanson amoureuse

De l’oiseau du bon Dieu sous la branche ombrageuse,

Et l’onde du ruisseau, qui dans le roc s’enfuit,

Pour elle n’avait plus son chant de chaque nuit.

Oh ! pourquoi l’avait-on de bonne heure ravie

À son joli sentier au bord de la prairie,

Pour l’apporter ici dans ce lieu sans azur,

Sans joie et sans amour, et plein d’un air impur ?....

Jeune fille des champs, à fleur plus belle encor !

Pleurez et gémissez sur un si triste sort ;

Gardez-vous d’envier celles de vos compagnes

Qui bien jeunes, hélas ! ont quitté leurs campagnes,

Leurs bois si verdoyants qu’arrose un long ruisseau,

Où l’on dansait le soir à l’ombre d’un berceau,

Pour venir près de nous, en notre grande ville

Où jamais du soleil le doux rayon ne brille ;

Amas de boue honteux, cloaque d’air privé

Que n’éclaire jamais un beau ciel azuré.

Ici tout est mensonge ; ici chaque visage

Est empreint du cachet du plus vil esclavage ;

Ici tout ne se meut que par la passion,

L’égoïsme hideux et la corruption..........

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Et l’air de notre ville (ô nouvelle Gomorrhe !)

Vous empêcherait bien, gentille fleur, d’éclore !

 

Il fait si beau chez vous, en votre doux vallon,

Où le fer tous les jours creuse un étroit sillon ;

Où l’on aime à rêver le soir auprès de l’onde,

Loin des sourdes clameurs et du fracas du monde ;

Où, le cœur dégagé de soucis et de pleurs,

Votre pied vierge encor ne foule que des fleurs !

O Jeanne, croyez-moi, restez chez votre mère ;

Demandez au Seigneur, dans une humble prière,

Qu’il vous conserve intacte, et que chaque matin

L’aurore vous retrouve, au milieu du jardin,

Toujours fleur aussi fraîche, aussi belle, aussi pure,

Quoique pourtant laissée aux mains de la nature.

 

          Paris, mai 1837.

 

 

Henri DUMAS.

 

Paru dans L’Austrasie,

revue du Nord-Est de la France,

en 1837.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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