Cantique pour Siméon

 

 

Seigneur, les jacinthes fleurissent dans les coupes

Et le soleil d’hiver chemine par les monts de neige ;

La saison têtue se confirme.

Ma vie attend, légère, le vent de mort

Comme un duvet sur le dos de la main.

La poussière au soleil, la mémoire aux recoins

Attendent le vent glacé qui balaiera la terre morte.

 

Accorde-nous Ta paix.

Voici bien des années que je marche dans cette ville,

Respectant ma foi et la Loi et pourvoyant à l’indigent,

Donnant et recevant honneur et bien-être.

Nul ne s’en est allé repoussé de mon seuil.

Qui gardera mémoire de ma maison, où vivront les fils de mes fils

Quand le temps d’affliction sera venu ?

Ils prendront le sentier des chèvres, se terreront au gîte des renards,

Fuyant les faces étrangères comme les glaives étrangers.

 

Avant le temps

Des liens et des fouets et des lamentations,

Accorde-nous Ta paix.

Avant les stations sur la montagne de désolation,

Avant l’heure assignée au chagrin maternel,

En ce temps que voici de naissance et de mort,

Que le petit Enfant,

Le verbe qui ne parle encore et n’est parlé

Accorde la consolation d’Israël

À un homme de quatre-vingts ans et qui n’a pas de lendemain.

 

Selon Ta parole

Ils Te loueront et souffriront dans chaque génération

Avec gloire et dérision,

Lumière sur lumière, gravissant l’escalier des saints.

Le martyre n’est pas pour moi, ni la pensée et la prière dans l’extase,

La vision suprême n’est pas pour moi.

Accorde-moi Ta paix.

(Un glaive, à Toi aussi, te percera le cœur.)

Je suis las de la vie et de la vie de ceux qui viendront après moi,

Je me meurs de ma mort et de la mort de ceux qui viendront après moi.

Laisse partir Ton serviteur,

Car mes yeux ont vu Ton salut.

 

 

 

Thomas Stearn ELIOT, 1928.

 

Recueilli dans Textes mystiques d’Orient et d’Occident,

choisis et présentés par Solange Lemaitre,

Plon, 1955.

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net