Le clocher de Rodez

 

 

Quand le désir nous prend, artistes ou poètes,

Ouvriers ou penseurs, gens de rien ou de peu,

De déserter Paris qui nous met l’âme en feu,

Pour aller écouter aux champs les alouettes,

 

N’est-il pas vrai qu’avant d’apercevoir le seuil

Que la mort, nous absents, a visité peut-être,

Mais où quelqu’un encor saura nous reconnaître,

Où, tout au moins, un chien viendra nous faire accueil ;

 

N’est-il pas vrai qu’avant d’avoir vu d’une lieue,

À l’endroit que le cœur sait toujours retrouver,

Du toit encor caché doucement s’élever

La fumée en spirale ou blonde, on blanche, ou bleue,

 

Nous avons tressailli, parce qu’à l’horizon,

Couronnant le coteau qui masque le village,

Un vieil arbre isolé, tordu, noir, sans feuillage,

Se dresse, et semble nous montrer notre maison ?

 

– Chêne, hêtre ou buisson, – quelque arrière-grand-père

Sur ce sommet désert le planta de ses mains,

Afin qu’aux malheureux perdus par les chemins

Il servit de signal et de point de repère.

 

La foudre l’a fendu, le givre l’a gercé,

L’orage mille fois l’a battu de son aile ;

Mata il reste debout, tenace sentinelle,

Fier du poste d’honneur où l’aïeul l’a placé.

 

Sa fonction à lui, c’est d’être haut et ferme,

De rendre le courage au voyageur trop las,

D’attirer sur son front le tonnerre en éclats,

Et contre son courroux de protéger la ferme...

 

 

                                *

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Or, ce que l’arbre aimé qu’on salue au retour

Est pour tous les enfants d’un petit coin de terre,

Toi qui portes plus haut ta tête solitaire,

Tu l’es pour le Rouergue entier, superbe tour,

 

Ô clocher de Rodez, qu’on voit de trente lieues !

Toi qui, par le ciseau de nos aïeux sculpté,

Au-dessus du sommet où leur foi t’a planté,

Jaillis à trois cents pieds dans les régions bleues !

 

Comme l’ambre des monts, tu vibres dans le vent ;

Et lorsque la tempête en rugissant t’assaille,

On sent une âme en toi qui s’agite et tressaille,

Et l’arbre de granit comme l’autre est vivant.

 

Et puis, à certains jours, un orchestre superbe

S’éveille dans ton sein, puissant, terrible et doux,

Qui rappelle le bruit de la foudre en courroux,

Ou le bourdonnement d’une ruche dans l’herbe :

 

Glas lugubres coupés ainsi que des sanglots,

Alleluia joyeux comme l’aube nouvelle,

Mélopée apaisée et presque maternelle,

Te Deum éclatant avec un bruit de flots ;

 

Frais carillons d’avril purs comme un chant de grive,

Carillons solennels des jours de messidor,

Carillons attristés quand le soleil s’endort,

Carillons grelottants lorsque Noël arrive ;

 

Qui de nous ne se les rappelle, et, tout troublé,

Quand les clochers d’ici bourdonnent, ne s’arrête,

Et ne songe au clocher natal, dont il regrette

Les airs chantant toujours dans son cœur d’exilé ?

 

Et comme nous laissons alors, à tire d’ailes,

Loin du Paris banal où nous parque le sort,

Nos âmes s’envoler dans un joyeux essor

Vers le clocher où vont aussi les hirondelles !

 

Comme, lorsque au retour il surgit à nos yeux

Couronné de rayons ou coiffé d’un nuage,

Ainsi que des marins après un long voyage,

Nous le saluons tous de nos regards pieux !

 

« Viens, nous dit-il de loin, comme nous faisant signe.

Je vois fumer d’ici le toit de ta maison,

Et ta mère et tes sœurs les yeux sur l’horizon,

Et ton père courbé dans son champ ou sa vigne.

 

« Que tu sois fils du Causse aux grands blés onduleux,

Ou du frais Ségala que les genêts fleurissent,

Que tu sois du Vallon où les grappes mûrissent,

De la Montagne verte où mugissent les bœufs,

 

« Salut ! Du vieux Rouergue où ton cœur te ramène,

Je suis aussi le cœur, le symbole et la foi ;

L’âme de tes aïeux habite encore en moi,

Ma pierre sous leurs doigts est devenue humaine.

 

« Fou ! dis-je à qui part jeune et va chercher ailleurs

Gloire, pouvoir, fortune, ou toute autre chimère ;

Fou, de n’être pas là lorsque mourra ta mère,

Pour couvrir son cercueil de larmes et de fleurs !

 

« Soyez les bienvenus, dis-je à ceux qui reviennent,

Le cœur las et meurtri, s’asseoir au vieux foyer :

Il est encor bien bon de se laisser choyer

Par les petits-neveux qui de vous se souviennent.

 

« Si vous avez semé votre âge le plus beau

Sur les mille chemins où l’orgueil vous entraîne,

Le pays vous fera la vieillesse sereine,

Et l’ombre du clocher est si douce au tombeau ! »

 

 

 

François FABIÉ, Fleurs de genêts.

 

 

 

 

 

 

 

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