L’âme de l’automne

 

 

                                                          À M. l’abbé Camille Roy.

 

Automne, l’Été cher a clos son œuvre verte,

Fruits et feuilles dont l’arbre en août s’est couronné,

Viens dans la terre où, roi des bois, l’érable est né,

Pays que la corneille aux mois venteux déserte,

Automne, l’Été cher a clos son œuvre verte.

 

Automne, à toi Septembre, à toi ses matins gris,

Moins prompts à révéler la gloire des collines.

Fais tes nuages flous, comme des mousselines,

Rapides, moutonner sur l’azur des midis.

Automne, à toi Septembre, à toi ses matins gris !

 

Je te reviens. Automne, ami des vents hostiles,

Pour redire la pourpre et l’ambre que tu mets

Sur la mélancolie auguste des forêts,

Tandis qu’un ciel d’étain s’alourdit sur les villes,

Je te reviens, Automne, ami des vents hostiles.

 

Rêveur, j’aime à semer des strophes dans les bois,

Quand les chênes rouillés font les montagnes rousses,

Que les vents, dans les soirs tumultueux et froids,

Enchevêtrant les pins austères, se courroussent,

Rêveur, j’aime à semer des strophes dans les bois.

 

J’aime à vivre les jours où rit la feuille blonde.

Depuis mes jeunes ans j’ai connu leur beauté :

L’aspect des bois jaunis me fait l’âme profonde.

Ah ! les heures d’octobre où naufrage l’Été !...

J’aime à vivre les jours où rit la feuille blonde.

 

Automne, gloire à toi dans les forêts du Nord !

Empourpre les sumacs, fais les herbes ardentes,

Donne à mes yeux de voir, ainsi qu’un fleuve d’or,

Fuir la zone des bois jaunes le long des pentes,

Automne, gloire à toi dans les forêts du Nord !

 

Je connaîtrai le deuil de l’érable et du chêne.

Je mêlerai mon rêve à l’adieu des bouleaux,

Tandis que les matins aveugleront la plaine,

Et voileront de bleu la ligne des coteaux.

Je connaîtrai le deuil de l’érable et du chêne.

 

Je verrai s’ajourer les érables carmins.

Déjà sur les monts roux leurs branches se défeuillent.

Sans fin dans le silence humide des chemins,

D’un vol oblique et lent s’abandonnent les feuilles.

Je verrai s’ajourer les érables carmins.

 

Bientôt, Novembre en pleurs fera gémir nos portes,

Et lorsque ses frimas fleuriront les ruisseaux,

Le dernier, je viendrai pleurer les feuilles mortes,

Et joindrai ma tristesse au départ des oiseaux.

Bientôt, Novembre en pleurs fera gémir nos portes.

 

Pensif, je viens semer mes strophes dans les bois

Dont le feuillage ardent fait les collines rousses.

Automne, que tes soirs tumultueux et froids,

Enchevêtrant les pins austères, se courroussent !

Pensif, je viens semer mes strophes dans les bois.

 

Puisse ma vie un jour te ressembler, Automne,

Et, comme l’arbre meurt par delà l’Été bleu,

Puisse-t-elle, pensive, harmonieuse et bonne,

S’éteindre dans l’amour et la gloire de Dieu,

Puisse ma vie un jour te ressembler. Automne !

 

 

      Sur le Mont-Royal,

         automne 1908.

 

 

 

Albert FERLAND, Le Canada chanté, 1908.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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