L’Évangile

 

 

                                    Diliges Dominum Deum tuum ex

                                    toto corde tuo et ex tota anima tua et

                                    ex omibus viribus tuis et ex omni

                                    mente tua, et proximum tuum sicut

                                    teipsum.

                                                                          (Luc, X, 27.)

 

 

Lorsque dans son écrin gainé de faille blanche

On m’a donné jadis ce livre de cuir noir,

J’avais l’âme craintive et pure des pervenches

Qui s’effeuillent sur les degrés d’un reposoir.

 

À mes yeux imprécis le Jésus du Calvaire

Faisait perler à peine une larme d’émoi,

Et, lorsque je joignais mes mains pour la prière,

C’est l’enfant de Noël qui se penchait vers moi.

 

J’aimais la crèche d’or, l’image de la Vierge

Dont la main délicate effleurait les grands lys

Et qui semblait parfois, à la clarté des cierges,

Me sourire divinement, comme à son fils.

 

Tendres printemps ! L’enfant est mort. L’homme s’éveille.

L’âme des angélus à l’ombre du clocher,

Comme un ange pieux dont le geste conseille,

Sur le cœur assombri n’ose plus se pencher.

 

Longtemps dans son écrin, comme un joyau fragile

Qu’on a peur de briser en le touchant des doigts,

J’ai gardé – sans jamais l’ouvrir – cet évangile,

D’où semble s’exhaler un parfum d’autrefois.

 

Mais maintenant que j’ai feuilleté tant de livres,

Et que j’ai deviné dans le frisson des jours

L’amertume d’aimer et le chagrin de vivre,

Missel, c’est à toi que je reviens toujours.

 

Je relis chaque soir une des pages saintes

Où la ferveur de ceux qui furent ses élus,

Comme un souffle vivant parmi les térébinthes,

Chante immortellement la pitié de Jésus.

 

Et je Le suis sur les chemins de Galilée,

Et j’écoute sa voix, plus douce que le miel,

Murmurer sa doctrine à la foule troublée

De sentir qu’Il est homme et qu’Il descend du ciel.

 

Je crois comme Il croyait, et bénis sa clémence

Dans les soirs de fureur où le soleil cabré,

Fléchissant l’univers sous un vent de démence,

Dresse des Golgothas sur le couchant pourpré.

 

Ô versets éternels, larmes de l’Évangile,

Je voudrais vous aimer avec un cœur d’enfant,

Dire votre tendresse à la foule servile,

Vivre en rêvant à vous, mourir en vous prêchant.

 

Je voudrais ignorer les larmes et la haine,

Aimer de cet amour dont vous aima Jésus,

Et tendant mes deux bras à la douleur humaine,

Mêler un peu de joie au sanglot des vaincus...

 

C’est vous qui m’aiderez à me vaincre moi-même,

C’est vous dont la pitié descendra sur mon front,

Lorsque du buis sacré, dans la lumière blême.

Peu à peu les rameaux jaunis s’effeuilleront.

 

Car mon cœur a compris la tendresse profonde

Que la lèvre du Christ verse à l’humanité,

Dans le parfum berceur de ton aurore blonde,

Livre Saint, Livre pur, Livre de Charité !

 

 

 

Paul FEUILLETTE.

 

Paru dans Le Parler français, bulletin de la Société

du Parler français au Canada, en février 1910.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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