Réalité

 

 

Ô Nature, as-tu fait les cœurs pour les détruire,

Pour les éteindre as-tu suscité ces lueurs ?

Vont-elles donc, en plein néant, cesser de luire,

            Ces lueurs sublimes, les cœurs ?

 

Pourtant ce ne sont pas de vaines apparences.

            Peut-on parler d’illusion,

Alors qu’autour de nous sanglotent les souffrances,

            Quand tout tremble de passion ?

 

Ces grands cris du malheur, ces élans de la joie

            Ne sont-ils pas vrais sous le ciel ?

Toi que la joie exalte et que le malheur broie,

            Mon frère, n’es-tu pas réel ?

 

L’Amour n’est pas un songe, il est l’Être de l’Être.

            Quand j’ai perdu ceux que j’aimais,

Du fond de leur tombeau je les ai vus renaître

            Et pour être à jamais.

 

Vous qui dites : « Maya file les phénomènes

Sur un métier ayant le vide pour support »,

Faux sages qui croyez la divine âme humaine

Fille d’un Brahma neutre identique à la mort,

 

Votre erreur est pareille aux plus noires ténèbres.

Vous proclamez la nuit dans le plein jour vermeil

Et vous substituez, ô sophistes funèbres,

            La lune pâle au grand soleil.

 

Ah ! que votre raison se renie elle-même

En se niant par un subtil et morne jeu,

Ce n’est qu’un jeu, passons ; mais que de sa main blême

Elle entraîne le Cœur hors du réel, ô Dieu,

 

Qu’elle nous souffle avec une voix sépulcrale :

« Vanité les bonheurs, les malheurs, vanité

Que Maya fatidique emporte en sa spirale

Aux oublis dont l’eau sombre emplit l’éternité… »

 

Alors, me rappelant les berceaux et les tombes,

Le lit où l’enfant naît, le lit où l’aïeul meurt,

Et le premier amour doux comme les colombes

Et les pulsations innombrables du Cœur,

 

Je t’atteste en un cri, Réalité du monde.

L’Être n’est pas Phoebé se mirant dans un puits.

Et pareil à ce dieu de l’Égypte profonde

Je dis, car je le sais : « Je suis celui qui suis. »

 

 

 

René-Albert FLEURY, Le Royaume pressenti.

 

 

 

 

 

 

 

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