Mysticisme du soir

 

 

À l’heure où le dernier spasme du jour qui meurt

S’écoute choir dans l’ombre et me suit à l’église,

Pour te prier, ô Dieu, c’est trop peu d’un seul cœur.

En un seul jet d’amour tout mon effort se brise !

Dans ce chaud clair-obscur, ah ! l’étrange douleur

De n’avoir pas de mots qui te diraient, cher Maître,

Ces longs remords aigus, gonflés sous la chaleur

De l’extase oppressée où s’affole mon être

Pour t’apporter ma faible, entière oblation !

Le halo de la lampe étreint le sanctuaire.

Le tabernacle s’ouvre à la vibration

De mes élans rués sur l’Unique Lumière !...

Et j’y voudrais aller coucher ma tête au fond,

Chauffer mes doigts glacés au Souffle du Ciboire !...

Comme au cierge allumé la cire roule et fond,

Mes pleurs glissent brûlants pour que tu puisses boire

Dans ta soif, ô Jésus, mon bonheur de T’aimer !

Sous l’ombre douloureuse et chaude et colossale

De la Croix qui suspend tout l’Amour opprimé,

Sanglant mémorial d’une heure sans égale,

Mon néant se défait, s’efface sur le soir...

Une vapeur s’étend sur la nef solitaire :

C’est tout mon cœur qui brûle au fond de l’encensoir !

C’est le mien... mais aussi, c’est l’autre que, sincère,

Toujours j’appelle !... saint cœur que je noue au mien

Pour consoler à deux le Grand Inconsolable !

Et près du Christ blessé, pâle au bois qui le tient,

Tout pantelant au mur, dans une insaisissable

Poussière de rayons qu’ont les cierges en feu,

Près de Son Chef je vois glisser une autre tête

Qui, tout à coup, s’allume au bord du vitrail bleu.

Je pense à la figure aimée où se reflète

La mystique clarté du calme front des saints.

C’est son sourire ému qui penche à la verrière

Et voudrait essayer de déclouer ces mains

De l’abandon funèbre où saigne la prière

Héroïque du Maître !... Et le silence entend

L’autre silence fou, famélique où mon âme

Ne sait plus où l’appel de la moisson l’attend,

Mais veut sur l’univers laisser courir sa flamme !

À l’heure où le dernier spasme du jour qui meurt

S’écoute choir dans l’ombre et me suit à l’église,

Pour te prier, ô Dieu, c’est trop peu d’un seul cœur !...

 

 

 

Marie-Anna FORTIN,

Bleu poudre, 1939.

 

 

 

 

 

 

 

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