Les découvertes de bébé

 

 

Bébé n’a rien encor dans sa petite tête.

Des tableaux que le monde ouvert vient lui offrir,

Nul ne le fait penser, certes, – rien ne l’arrête :

C’est au prix d’un chagrin qu’il va tout découvrir.

 

Il voit qu’il a des yeux, pourquoi ? Parce qu’il pleure !

Un coude ? Il le meurtrit en heurtant l’escabeau !

Il s’est mordu le doigt, et découvre, sur l’heure,

Que ce doigt existait, puisqu’il lui fait bobo.

 

Il a trouvé le feu, comment ? Par les brûlures !

Il doutait, en été, du méchant vieil Hiver ;

Il y croit, maintenant : il a des engelures...

– C’est par une douleur qu’il a tout découvert.

 

Bébé ne savait pas qu’en la poitrine frêle,

Pour un être chéri qui vous blesse ou qui part,

S’éveillât une voix douce et surnaturelle,

Et qu’on pût avoir mal sans bobo nulle part.

 

Ce soir, papa grondait, et maman s’est sauvée.

Dans sa chambre, où la suit le petit, tout peureux,

Elle a dit à Bébé : « Va ! je suis énervée... »

Et c’est comme un silence obscur qui pèse entre eux.

 

La mère, cependant, fiévreuse, machinale,

Arrache des rubans, déchire des billets,

Brûle de vieilles fleurs, en reste toute pâle,

Près du petit, tout rouge et les yeux inquiets.

 

Et tout à coup Bébé sent là, sous sa menotte,

Quelque chose qui bat, tantôt avec lenteur,

Tantôt plus fort, et qui palpite, et qui sanglote :

De le sentir blessé, Bébé trouve son cœur.

 

Longtemps il reste là, sa frimousse étonnée

Du tic tac régulier qu’il touche, qu’il entend.

Puis il s’en va, rêveur : il sera, la journée,

Fier de sa découverte, et malheureux pourtant.

 

Tu feras, mon petit, bien d’autres découvertes ;

Mais, hélas ! – c’est la vie, et c’est le sort humain, –

Tu les feras au prix des misères souffertes :

Pour arriver à nous tout prend ce dur chemin.

 

Tu nieras l’amitié, mon fils, jusqu’au jour triste

Où ton frère de cœur gaiement t’aura trahi ;

L’amour ! tu comprendras seulement qu’il existe

Lorsque, pour en pleurer, tu l’auras obéi.

 

Tu douteras longtemps ; puis, à l’heure fatale

Où l’adieu de la chair nous fait encor souffrir,

Tu verras l’au-delà, mais en poussant un râle...

– C’est par une douleur qu’il faut tout découvrir.

 

 

 

Charles FUSTER.

 

 

 

 

 

 

 

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