Les sœurs jumelles

 

 

                                      I

 

Quelle grâce adorable accompagne leurs pas !

Leurs regards sont si doux, leurs traits si délicats,

Leurs blonds cheveux si fins sur leurs tempes limpides,

Qu’on les dirait les sœurs des rêveuses sylphides,

Ou deux anges du ciel égarés ici-bas.

 

        Ce sont les deux charmantes sœurs

                   Jumelles,

                Comme les fleurs

                Belles et frêles.

 

Adèle et Thérésa, leurs noms sont doux et beaux :

L’une, rieuse enfant, jette à tous les échos

Et sème en son chemin les perles de son rire ;

Et l’autre, sur la lèvre, a le pâle sourire

Aux rayons du couchant de la fleur des tombeaux.

 

        Ce sont les deux charmantes sœurs

                   Jumelles,

                Comme les fleurs

                Belles et frêles.

 

Elles ont tant souffert, ces vierges du bon Dieu,

Dans l’asile où le soir souvent manqua le feu !

Frêles comme les fleurs, la plus frêle s’incline,

Et parfois, au regard, l’auréole divine

À l’entour de son front semble apparaître un peu.

 

        Ce sont les deux charmantes sœurs

                   Jumelles,

                Comme les fleurs

                Belles et frêles.

 

Thérésa, grave et douce, a fléchi sous sa croix ;

Adèle en souriant se dérobe à son poids,

Elle ouvre au vent joyeux ses ailes de colombe ;

Sa sœur, les yeux au ciel, debout sur une tombe,

Des funèbres appels écoute au loin la voix.

 

        Ce sont les deux charmantes sœurs

                   Jumelles,

                Comme les fleurs

                Belles et frêles.

 

Auraient-elles aimé ? ce rêve de bonheur

Qui s’éveille à son heure au fond de notre cœur,

L’ont-elles fait ? Hélas ! les pâles églantines

Se fanent en silence au versant des ravines,

Répandant leur parfum pour le seul Créateur.

 

        Ce sont les deux charmantes sœurs

                   Jumelles,

                Comme les fleurs

                Belles et frêles.

 

 

 

                                      II

 

 

Le matin et le soir, au prochain horizon,

Leur passage toujours enchantait ma prison ;

Je ne les revois plus ; comme les hirondelles

Ont-elles fui l’hiver aux morsures cruelles ?

Je disais, j’attendrai la riante saison.

 

        Ce sont les deux charmantes sœurs

                   Jumelles,

                Comme les fleurs

                Belles et frêles.

 

Mais, hélas ! loin de moi les emportait leur vol :

L’une, depuis longtemps, dédaigneuse du sol,

Remontait vers les cieux au premier vent d’automne,

Un soir qu’en tourbillons roulait la feuille atone ;

Et l’autre s’envolait au chant du rossignol.

 

        Ce sont les deux charmantes sœurs

                   Jumelles,

                Comme les fleurs

                Belles et frêles.

 

Nul ne reverra plus ces anges gracieux

Passer, groupe charmant, front grave et front joyeux :

Thérésa s’effaçant dans l’ombre rejetée ;

Et, miroir souriant de sa sœur attristée,

Adèle précédant un éclair dans les yeux.

 

        Ce sont les deux charmantes sœurs

                   Jumelles,

                Comme les fleurs

                Belles et frêles.

 

Au céleste séjour, où toute âme revit,

L’une à peine arrivait que l’autre la suivit :

Mystérieux lien de ces flammes si belles,

Et d’un même foyer tremblantes étincelles,

La mort souffla sur l’une et l’autre s’éteignit !

 

        Ce sont les deux charmantes sœurs

                   Jumelles,

                Comme les fleurs

                Belles et frêles.

 

 

 

Jean GAIDAN,

Aubes d’avril et

soirs de novembre,

1870.

 

 

 

 

 

 

 

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