Métamorphoses

 

 

                             I.

 

Dans des touffes de marjolaine,

Entrouvrant son aile au soleil,

Comme une fleur aérienne,

Jouait un papillon vermeil.

 

De mousses sauvages couverte,

La tombe d’un petit enfant,

Sous la terre riante et verte

Se cachait à l’œil du passant.

 

Et, dans une langue ignorée,

Le papillon frêle et charmant,

Ébattant son aile dorée,

À l’enfant parlait tendrement :

 

« Dis-moi ; qu’as-tu fait du sourire

» Dont s’illuminaient tes yeux bruns ?

» De ta lèvre qui savait dire

» Des mots plus doux que des parfums ?

 

» Qu’as-tu fait de ta chevelure,

» Dont ta mère, chaque matin,

» Déroulait la blonde annelure,

» Autour de ton front enfantin ?

 

» Pauvre enfant ! Des plaisirs sans nombre

» Qui naissaient sous tes jeunes pas,

» Môme avant d’en avoir vu l’ombre,

» Ton cœur était-il déjà las ?

 

» Pourtant, les plaisirs ont des charmes

» Pour les enfants aimés des cieux,

» Et Dieu ne fit jamais des larmes

» Amères à leurs jolis yeux.

 

» Enfant ! ouvre tes lèvres roses

» Que pâlit un dernier soupir ;

» Réponds : pourquoi ces douces choses

» N’ont-elles pu te retenir ? »

 

Alors, auprès du tombeau sombre,

Qui fut baigné de tant de pleurs,

La douce voix de la jeune ombre

Se fit entendre dans les fleurs :

 

« Ô toi que les roses jalouses

» Bercent dans leur sein velouté,

» Petit roi des vertes pelouses,

» Dis-moi d’où te vient ta beauté ?

 

» D’où te vient cette aile de soie,

» Cette aile au merveilleux émail,

» Qui frémit et qui se déploie

» Dans les airs, comme un éventail ?

 

» Quel ange, de sa main habile,

» Sut fixer sur ton corps charmant,

» Sur ta robe au tissu fragile,

» Ce doux reflet de diamant ?

 

» À l’abri sous l’herbe, étoilée

» De vers luisants aux mille feux,

» Dans une mousse dentelée,

» Vers le soir, tu fermes tes yeux.

 

» Tu vis au gré de tes caprices,

» Ton désir est ta seule loi ;

» Oh ? dis-moi ; toutes ces délices,

» Qui donc les a faites pour toi ?

 

 

                            II.

 

» Enfant, je fus longtemps esclave

» Dans le fond d’un réduit obscur.

» Avant de pouvoir, sans entrave,

» M’envoler vers le ciel d’azur.

 

» J’étais un pauvre ver, sans force,

» Sans nulle grâce ni beauté,

» Me cachant sous l’herbe ou l’écorce

» Où la brise m’avait jeté.

 

» Un jour, en rampant sur la terre,

» Au creux d’un aride sillon,

» Dans les airs, d’une aile légère,

» Je vis passer un papillon.

 

» Qu’il était frais et plein de grâce,

» Ce doux roi du printemps joyeux,

» Qui jouait à travers l’espace,

» Dans son essor capricieux !

 

» La pervenche et la violette,

» Fraîches prémices des saisons,

» Dans leur plus charmante toilette,

» Lui souriaient sous les gazons.

 

» Enfin, toutes les fleurs, rivales,

» Épiaient son vol caressant,

» Et du parfum de leurs pétales

» Elles l’enivraient en passant.

 

» Et moi, pour qui les fleurs des plaines

» N’avaient ni parfum ni regard,

» Et qui, loin de ces douces reines,

» Pauvre ver, rampais au hasard ;

 

» Oh ! je voulus avoir des ailes,

» Des ailes au tissu soyeux,

» Pour pouvoir voler auprès d’elles

» Et quitter le sillon poudreux.

 

» Dans une enveloppe légère

» Que je filai péniblement,

» Sous une branche de bruyère,

» Je fus me blottir doucement.

 

» Quelle douce métamorphose,

» Quand je sortis de ce séjour,

» Et que perçant ma tombe close,

» Je pus rouvrir mes yeux au jour !

 

» Avançant ma tête timide

» Hors de ma soyeuse prison,

» J’étendis mon aile splendide

» Et je volai vers l’horizon.

 

» Adieu, la dépouille sauvage

» Et le pauvre insecte en haillons !

» Toutes les fleurs rendaient hommage

» Au plus brillant des papillons.

 

» Maintenant, je vis auprès d’elles,

» Moi, le faible ver transformé,

» Et je vais, reposant mes ailes

» Sur leur calice parfumé.

 

 

                           III.

 

» Moi, dit la voix pleine de charmes,

» Si j’ai fui la terre à jamais,

» Si j’ai laissé ma mère en larmes

» Près de la couche où je dormais,

 

» C’est que, sous mon rideau de gaze,

» Un jour, dormant sous l’œil de Dieu,

» Je vis, dans une sainte extase,

» S’entrouvrir le firmament bleu.

 

» Dans un paradis de merveilles,

» Je vis apparaître à mes yeux,

» Des anges aux ailes vermeilles,

» Au front charmant et radieux.

 

» Pour orner leur tête, embaumée

» De parfums de nard et de miel,

» Leurs mains cueillaient la fleur semée

» Dans les jardins d’azur du ciel.

 

» Après la céleste lumière

» Dont mes yeux furent éblouis,

» Oh ! que le séjour de la terre

» Me parut sombre et plein d’ennuis !

 

» Les plaisirs et la gaîté pure,

» Qui m’animaient d’un doux émoi,

» Mes jouets, ma fraîche parure,

» N’eurent plus de charmes pour moi.

 

» Dans cette angélique phalange,

» Qu’un songe divin me fit voir,

» Emporté par des ailes d’ange,

» J’enviai de m’aller asseoir.

 

» Et maintenant je dors dans l’ombre

» Au fond de mon dernier berceau,

» Et, comme toi, de ce lieu sombre,

» Un jour, je sortirai plus beau.

 

» Un jour aussi j’aurai des ailes

» Ainsi qu’un petit chérubin,

» Et de ses clartés éternelles

» Dieu viendra m’ouvrir le chemin.

 

» Tandis que ta splendeur qui passe

» Ô papillon ! n’aura qu’un temps

» Et que tu vivras dans l’espace

» À peine l’âge du printemps

 

» Au ciel, dans une gloire pure,

» Moi, pour jouir de ma beauté,

» Au lieu du temps qui se mesure

» J’aurai toute une éternité ! »

 

 

 

Louis GALLET,

Gioventù, poésies,

1857.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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