La basilique

 

 

Il est une basilique

Aux murs moussus et noircis,

Du vieux temps noble relique,

Où l’âme mélancolique

Flotte en pensers indécis.

 

Des losanges de plomb ceignent

Les vitraux coloriés,

Où les feux du soleil teignent

Les reflets errants qui baignent

Les plafonds armoriés.

 

Cent colonnes découpées

Par de bizarres ciseaux,

Comme des faisceaux d’épées,

Au long de la nef groupées,

Portent de sveltes arceaux.

 

La fantastique arabesque

Courbe ses légers dessins,

Autour du trèfle moresque,

De l’arcade gigantesque,

Et de la niche des saints.

 

Dans leurs armes féodales,

Vidames et chevaliers,

Sont là couchés sur les dalles

Des chapelles sépulcrales,

Ou debout près des piliers.

 

Des escaliers en dentelles

Montent avec cent détours

Aux voûtes hautes et frêles,

Mais fortes comme les ailes

Des aigles ou des vautours.

 

Sur l’autel riche merveille,

Ainsi qu’une étoile d’or,

Reluit la lampe qui veille,

La lampe qui ne s’éveille

Qu’au moment où tout s’endort.

 

Que la prière est fervente

Sous ces voûtes, lorsque en feu

Le ciel éclate, qu’il vente,

Et qu’en proie à l’épouvante,

Dans chaque éclair on voit Dieu !

 

Ou qu’à l’autel de Marie

À genoux sur le pavé

Pour une vierge chérie

Qu’un mal cruel a flétrie,

En pleurant l’on dit : Ave.

 

Mais chaque jour qui s’écoule

Ébranle ce vieux vaisseau,

Déjà plus d’un mur s’écroule,

Et plus d’une pierre roule,

Large fragment d’un arceau.

 

Dans la grande tour, la cloche

Craint de sonner l’Angélus :

Partout le lierre s’accroche,

Hélas ! et le jour approche

Où je ne vous dirai plus :

 

Il est une basilique

Aux murs moussus et noircis,

Du vieux temps noble relique,

Où l’âme mélancolique

Flotte en pensers indécis.

 

 

 

Théophile GAUTIER.

 

 

 

 

 

 

 

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