La mort d’une jeune fille

 

 

Son humble parure était prête

Sur sa couche, dès le matin ;

Et, comme au plus beau jour de fête,

Elle était joyeuse... Ô destin !

Elle traverse avec audace

La foule, et dit : « Venez à moi,

J’ai trouvé la meilleure place,

D’ici l’on verra bien le Roi. »

 

Or, le Roi passait la revue,

Avec ses trois fils à cheval,

Et ce groupe attirait la vue

Du peuple inconstant et banal.

En France on aime à voir le maître,

Mais on n’était pas sans effroi :

On disait que d’une fenêtre

On devait tirer sur le Roi.

 

Le matin même on vient lui dire :

« Sire, on doit vous assassiner ! »

Et le roi se prit à sourire,

Et répondit sans s’étonner :

« Nous avons chacun sur nos têtes

Des périls qui sont une loi :

Pour le matelot les tempêtes,

Et les assassins pour le Roi. »

 

Le brillant cortège s’avance,

Il approche du lieu fatal

Où se préparait en silence

Plus qu’un crime, un piège infernal.

Et la jeune fille ravie

La première a dit : « Je le voi ! »

La première a donné sa vie

En s’écriant : « Voici le Roi ! »

 

Quel bruit !..... Soudain comme une grêle

Fondent mille plombs meurtriers ;

La jeune fille pâle et frêle

Tombe morte avec les guerriers.

Les cadavres jonchent la terre.

Trois fils, saisis d’un seul effroi,

De leurs corps vont cacher leur père.....

Et le peuple cherche le Roi !

 

Le Roi vit encore..... Ô mystère !

Calme, il embrasse ses enfants ;

Et triste, il voit mourir, sans guerre,

Des héros jadis triomphants.

Des blessés on compte le nombre ;

Et la garde, tout en émoi,

À l’assassin, qui fuit dans l’ombre,

A répondu : Vive le Roi !

 

Alors un vieillard, dans la foule,

Inquiet, s’élance en tremblant :

Il s’arrête, il tombe, il se roule

Sur un jeune corps tout sanglant.

Et voyant flétris tant de charmes,

Il ne dit qu’un mot : « Avant moi !... »

Et puis il bénit de ses larmes

Sa fille morte pour le Roi.

 

Neuf jours après, un long cortège

Cheminait sur les boulevards ;

De blanches fleurs, un deuil de neige ;

Attristaient d’abord les regards ;

Puis, le héros de vingt batailles

Fermait la marche du convoi.

Jamais plus belles funérailles !

On eût dit la fille d’un Roi.

 

Pauvre enfant ! ton âme ingénue

N’avait point rêvé tant d’honneur,

Et ta vie, au monde inconnue,

N’attendait qu’un obscur bonheur.

Nul rayon d’une gloire vaine

Ne s’était réfléchi sur toi,

Et tu devais mourir en reine

De la mort destinée au Roi.

 

Mais honneur à toi, jeune fille,

Qui tombas comme un vieux guerrier,

En dotant ton humble famille

D’un noble et virginal laurier !

Honneur à celle qu’on enterre,

Avec le canon pour beffroi,

Dans ce beau temple militaire

On règne l’ombre du grand Roi !

 

Dors en paix, victime innocente

Immolée à la royauté ;

Dors : la France reconnaissante

Rend hommage à ta pureté.

En voyant les fleurs de ta tombe,

Le peuple croyant d’autrefois

Aurait dit : La sainte colombe

Plane encor sur le front des Rois.

 

Mais nous qui n’avons pour idoles

Que nos haines et notre orgueil,

Nous ne trouvons plus de symboles

Dans ce jeune et chaste cercueil.

Négateurs de la Providence,

Nous n’apercevons point la loi

Du Dieu qui veille sur la France

Et la sauve encor par le Roi.

 

 

 

Delphine GAY.

 

Recueilli dans Souvenirs poétiques

de l’école romantique, 1879.

 

 

 

 

 

 

 

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