Première communion

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Paul GERMAIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À GASTON UYTTALL.        

 

 

Je m’en souviens comme si c’était hier ; et, en fermant bien les yeux, je revois encore, toute nue, la grande église d’un tout petit village des Ardennes françaises, perdu dans la forêt d’Argonne.

Il y a de l’extase dans l’air et l’église, toute frémissante d’amour et de pardon, est pleine de recueillement, malgré le gai soleil qui l’envahit par les carreaux brisés de ses vitraux dépeints.

Voici resplendir, en une apothéose de mystère, le maître-autel tout blanc, encadré d’or.

Et voici, à droite de la chaire de vérité, avec au-dessus un immense Christ en plâtre, tordu dans la douleur, maigre de la maigreur des faméliques, la tête effondrée sur la poitrine desséchée, et laissant couler par le flanc entr’ouvert un flot de sang jaunâtre.

Et voici défiler, les mains jointes, gamins et gamines, deux par deux.

Et les petites filles ont l’air de petites Saintes Vierges, avec leurs longs voiles de mousseline blanche qui semblent errer, immatériels, autour de leur corps de poupées frêles ;

Et les gamins, avec leur petit bout de frac noir, ont l’air de jeunes mariés de noces spirituelles.

Depuis six mois on nous préparait à cet acte formidable, si doux et si terrible, la première communion ! Nous avions jeûné, nous avions prié, et nous avions la foi.

Dans nos rêves extatiques, nous avions vu passer des légions d’anges qui nous tendaient les bras en souriant, et nous avions vu, dans une aube de lumière, Dieu.

Dieu, qui nous épouvantait, mais vers qui nous nous sentions attirés, irrésistiblement.

Et nous avions désiré mourir pour nous annihiler en Lui pour nous résorber en son Amour.

Et nos genoux étaient meurtris tant nos prières étaient longues et ardentes.

Pas un doute ne venait entamer notre foi triomphante, nous avions entendu la Sainte Vierge nous appeler à Elle et nous l’avions vue, si belle, svelte et un peu pâle, avec du rêve au fond de ses grands yeux bleus, nous l’avions vu nous faire signe de la main et nous montrer le ciel, comme si là seulement on pouvait être heureux.

Et nous avions désiré mourir

Et c’étaient des élancements éperdus vers le néant divin en clamant en nous-mêmes l’acte de Désir et l’acte d’Espérance.

Nous avions revécu le martyre du Christ.

Avec les Mages nous étions venus, guidés par l’Étoile annonciatrice, adorer Jésus dans l’étable.

Avec ses apôtres nous l’avions suivi par la Judée ; nous avions souffert et prié avec lui.

Avec lui nous étions allés chez Caïphe et chez Pilate.

Avec lui nous avions gravi la montagne du Golgotha.

Avec lui encore nous avions erré parmi les Oliviers.

Avec lui toujours, nous avions été cloués sur la croix infame après avoir souffert les affres prédites par les prophètes.

Et nous avions entendu, à trois heures de l’après-midi, le voile du temple se déchirer avec fracas ; nous avions vu les morts surgir de leurs tombeaux pour jeter dans la nuit, tombée comme un suaire sur le monde éperdu, leurs grands cris de détresse.

Nous avions pleuré le sang de ses blessures, et les épines de sa couronne avaient déchiré nos fronts pâles.

Enfin le grand jour était arrivé.

J’entends encore, mystérieuses et formidables ronfler les orgues saintes, et je vois se tordre la flamme de nos cierges sous le vent mystique des cantiques sacrés :

Oh ! je me souviens de cet instant d’angoisse et d’allégresse indicibles où le prêtre nous présenta l’hostie !

Et je me demande comment il est possible que mon petit cœur d’alors put contenir, sans se briser, tant de béatitude.

Je m’en souviens comme si c’était hier, et je revois l’église en fermant les yeux.

Depuis, j’ai vécu : et je ne sais comment cela s’est fait, sans le vouloir j’ai tué mon Dieu, sans le vouloir j’ai tué ma foi, et toute mon espérance s’en est allée à la dérive.

On devrait toujours rester enfant.

Aujourd’hui que je suis homme, me souvenant, non sans une larme, de la première hostie, je rêve une autre communion plus mystique et plus immatérielle encore, où je retrouverais toute la candeur de ma première enfance ; je rêve d’exil sur un pic inaccessible aux aigles même de montagnes, et je me dis avec une âpre volupté :

« Je m’en irai sur la blancheur des cimes et je me noierai dans la nue ;

« Je verrai passer les vols blancs de mes songes, et rien des choses de la terre ne viendra ternir l’hermine de mon rêve ;

« L’albe lumière baignera ma solitude ;

« J’écouterai pleurer la brise des monts, et je me laverai dans vos lacs de neige, blancheur sacrée des cimes !

« Pas un désir ne souillera mon âme ; je serai chaste dans la candeur de la nuée.

« Et j’oublierai la terre, en attendant la venue du cygne fatidique dont l’immatérielle nacelle me conduira, pour me purifier, dans l’orbe du soleil, cette hostie flamboyante ! »

 

 

Paul GERMAIN.

 

Paru dans La Flandre littéraire, artistique et mondaine en 1897.

 

 

 

 

 

 

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