Le troubadour et la princesse

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Paul GERMAIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À MA MIE.          

 

 

Il y avait une fois (ne souris point, ma Mie, ceci est une histoire vraie qui s’est passée il y a bien longtemps mais qui eut pu se passer hier, et qui se passe peut-être aujourd’hui) il y avait une fois, au beau pays de Bretagne, qui s’appelait alors Armorique – un nom beaucoup plus harmonieux et beaucoup plus vaillant – un troubadour aimant une princesse.

En ce temps-là, il n’était pas rare de voir errer par les chemins conduisant aux lourds manoirs de pierre, de jeunes hommes drapés dans de larges manteaux – comme en portent encore aujourd’hui les brigands espagnols, forceurs de jolies femmes – et chantant de fort douces choses pour les belles dames aimées.

Les seigneurs qui s’ennuyaient un peu dans leurs cottes de mailles, leur ouvraient très volontiers les portes de leurs castels tout retentissants de bruits de guerre, et les belles châtelaines, qui se mouraient d’ennui de n’entendre jamais parler d’amour, leur ouvraient parfois – ne va pas rire, ma Mie – les rideaux de soie pâle de leurs alcôves embaumées.

En ce temps-là, Tristan, l’un des rois de l’Armorique – il y en avait bien une douzaine, mais c’était de tous le plus puissant – régnait sur les contrées voisines de la mer.

C’était le petit-fils du roi Arthur – signe-toi, ma Mie – le vaillant des vaillants, celui-là même qui battit les Saxons et qui sut préserver le vase du Saint Graal, rouge encore du sang du Christ, des flétrissures étrangères.

Sa fille Iseult était belle comme le plus beau jour ; plus belle encore, disaient les vieillards, des éblouissements plein les yeux, que son aïeule Iseult aux Blanches Mains, la tant aimée de Merlin l’Enchanteur.

Sa chevelure était si longue qu’elle eut pu s’y tailler un manteau et s’y cacher comme dans la nuit ; et quand elle riait, on eut cru voir dans ses yeux bleus, danser des rondes d’anges, et l’on eut juré que Merlin l’Enchanteur avait changé en perles fines ses dents mignonnes ; sa taille très mince était nerveuse comme un bambou, et ses seins d’’ambre pâle eussent fait mourir d’amour qui les eut vus.

Oh ! ne sois point jalouse, ma Mie, ses cheveux n’étaient pas plus soyeux que les tiens, ni ses yeux plus doux, ni sa taille plus svelte, et tu sais bien que je mourrais d’amour si je ne voyais plus tes petites mains si blanches !

Oh ! ne sois point jalouse ; elle était belle, mais elle n’avait pas d’âme : c’était une petite personne frivole et vaniteuse, incapable d’aimer, tandis que toi, tu es la meilleure de toutes, et je sais combien tu m’aimes.

Vint un soir, à la cour de son père, un troubadour blond.

Il venait de Provence, pays de roses et de soleil, et s’appelait Loïs ; il était beau comme Saint Jean, brave comme Saint Michel ; il avait combattu les Sarrasins – un peuple terrible qui marchait à la bataille en rugissant des blasphèmes – et son armure d’acier portait la trace de cent coups de cimeterre.

Les sarrasins ayant été vaincus, il se mit à courir la Gaule à la recherche de l’Amour.

En ce temps-là, comme aujourd’hui, ma Mie, on pouvait, sans le trouver, errer fort longtemps par chemins et par sentes, à moins que quelque druidesse aux tresses blondes ne vous eût donné, talisman d’amour, un rameau du gui coupé avec la faucille d’or.

Las ! Loïs n’avait point rencontré de druidesse, mais dès qu’il vit Iseult, irradiante de jeunesse, il l’aima, c’est-à-dire qu’il commença à mourir d’amour.

Et toute la nuit il chanta, en vers mélodieux, la merveilleuse beauté de la princesse incomparable ; il s’accompagnait sur une sorte de lyre en bois de rose, et les plus rudes guerriers armoricains, grands tombeurs de Saxons, pleuraient d’amour en écoutant sa chanson si belle et si douce. Seule, Iseult n’entendait point la chanson d’amour, et la chanson disait :

« J’ai quitté les bords si bleus de la divine mer de Provence, sachant qu’un soir je te trouverais merveilleuse de beauté ; mais si tu n’écoutes point ma chanson, demain je m’irai jeter du haut des rochers, car je ne puis vivre sans toi. »

Mais Iseult n’écoutait pas la prière d’amour, et la prière disait :

« Je chanterai pour toi de si douces chansons que les anges du paradis pour les écouter descendront du ciel ;

Je cueillerai pour toi des fleurs si jolies que la brise des bois n’osera les baiser ;

et les oiseaux ne chanteront que pour toi !

Mais si tu n’écoutes point ma prière, demain je m’irai jeter du haut des rochers, car je ne puis vivre sans toi ! »

Oh ! ma Mie, ma Mie ! Iseult n’entendait par la chanson du troubadour, car le troubadour était pauvre : il n’avait ni couronne d’or, ni castel de pierre ! et alors comme aujourd’hui – baise-moi, ma Mie, puisque tu es la seule qui sache aimer – il n’y avait guère d’amour pour ceux qui n’étaient riches que de pensées et qui n’avaient de trésors que dans le cœur !

Et le troubadour chantait, chantait sa chanson douce claire, sa triste et folle chanson d’amour ; mais soudain cassèrent les cordes de la lyre.

Et le troubadour, ayant jeté sur sa tête les pans de son long manteau sombre, sorti en courant dans la nuit.

Le lendemain la tempête rejeta sur la côte le corps de troubadour. Les pêcheurs, pieusement, creusèrent sa tombe au pied d’un grand arbre d’où l’on entendait chanter les flots ; la tombe existe encore et l’arbre est toujours vert.

Et l’on raconte, ma Mie, que les filles de Bretagne, les soirs de peine amoureuse, vont pleurer sur la tombe de celui qui mourut pour avoir trop aimé : et l’on raconte aussi que les fleurs les plus belles fleurissent sans cesse sur son tertre et que les oiseaux les plus mélodieux y chantent nuit et jour.

Le troubadour doit être bien là, pour rêver à jamais ses rêves d’amour bercés par les chants des oiseaux et par chanson des flots.

Et la princesse ? –

Oh ! la princesse, ma Mie, elle épousa, quelques mois après, le prince de Kent qui avait assassiné son vieux père pour hériter son royaume.

Elle habitait sur la falaise un très grand manoir sombre, mais on dit qu’elle ne fut point heureuse : elle n’eut jamais d’enfants pour éjouir ses yeux de jeune mère, et pour consoler son cœur de vieille femme.

 

 

Paul GERMAIN.

 

Paru dans La Flandre littéraire,

artistique et mondaine en 1897.

 

 

 

 

 

 

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