Sur un berceau

 

 

Je me suis incliné sur les tempes d’ivoire

D’un enfant endormi dans le blanc d’un berceau,

Et j’ai cru que le ciel incarnait de sa gloire

Dans les tissus de chair de ce vivant roseau.

 

À genoux, comme au seuil d’une église récente,

J’adorai notre Dieu dans ce temple nouveau ;

Il semblait que l’éclat de son âme innocente

Transperçait son visage et l’ornait d’un flambeau.

 

Sur ce front que marqua l’estampille divine,

Dévotieusement ma lèvre se posa.

Et mon cœur trépidant, sur sa calme poitrine,

Comme pour s’apaiser longuement reposa.

 

Je voulus soulever sa paupière tendue

Pour déceler le rêve où sommeillait son cœur :

Parcourait-il encor cette morne étendue

Qu’il venait de quitter pour un monde meilleur ?

 

Ou voyait-il au loin les scènes de la vie

Se dérouler en songe à son regard voilé

Tandis qu’à son chevet je souffrais de l’envie

De suivre dans son cours cet esprit envolé ?

 

Et je me dis alors dans un muet langage :

« Le paisible enfançon ! Il a pris en rêvant

La sente de mystère où le destin l’engage.

Il dort et ne sait pas que lui-même est vivant !

 

Oh ! dors, cher angelet, sous ta gaze de soie !

Car un matin, bientôt, tu devras te lever,

Poursuivre à pas sanglants le chemin qui poudroie :

Ton voyage commence, il faudra l’achever. »

 

Et l’enfant dévoila sa prunelle azurée,

La tourna vers le ciel par l’oiseau parcouru,

Comme s’il eût suivi dans l’arène éthérée

La fuite de son rêve au réveil disparu.

 

Tel un rayon du jour sur la corolle close,

Sur sa lèvre fermée un sourire naquit :

Peut-être voyait-il l’heureuse apothéose

De sa jeunesse d’or dans un lointain croquis ?

 

Mais une ombre soudain effleura son visage

Qui s’immobilisa dans un regard amer :

Ainsi quand l’astre-roi se masque d’un nuage

La terre s’assombrit et l’azur est moins clair.

 

Et des pleurs s’échappant comme des perles neuves

D’une source naissante, embuèrent ses yeux :

Aurait-il pressenti ce drame des épreuves

Que l’humain doit jouer à la face des cieux ?

 

C’est drôle que la vie à son aurore pleure,

Puisque la gaieté flotte autour de son berceau,

Tandis que le cadavre en froide paix demeure

Malgré les pleurs brûlants qui mouillent son tombeau.

 

Puis le petit scella de nouveau ses paupières.

Et moi, vieillard rêveur, penché sur un sommeil,

Je songeai que la mort, souveraine des bières,

M’y coucherait un soir pour jusqu’au grand réveil.

 

Sur cet être plana l’aile des destinées.

Et perçant l’avenir je désirai savoir

Ce qu’en lui bâtirait le travail des années.

Mais le destin jaloux ne laissa rien prévoir.

 

Et n’ayant rien pu lire à son front tendre et lisse,

Vieillard, je vais descendre où va chaque vieillard,

Ignorant si sa main lèvera le calice

Ou si son bras un jour brandira le poignard.

 

 

 

Albert GERVAIS,

Au soleil de minuit, 1946.

 

 

 

 

 

 

 

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