La Vierge du coteau

 

 

                                           Souvenir d’écolage.

 

 

Je sais sur le coteau, chaton de solitude,

Un piédestal madré baignant dans les rayons.

La Vierge intronisée en scel de gratitude

                  Y prodigue ses dons.

 

Chant doucet de la brise en molles sérénades,

Crissement du vallon, bourdonnement de l’air,

Forment avec le pépiement des pariades

                  Un marial concert.

 

Le hêtre et le bouleau, le majestueux chêne,

Notre érable royal, le pin sombre et rêveur

Assiègent la colline et tout près de leur Reine

                  Font la garde d’honneur.

 

Aux pieds de Notre-Dame, au sein de la vallée,

La forêt se recueille et tisse son secret,

Sans cesse murmurant un frisson de feuillée

                  En un Salvé discret.

 

Au Saint-Laurent, là-bas, l’astre de feu s’abreuve.

Le regard de la Vierge erre sur les flots bleus :

Et l’azur du grand ciel et l’azur du grand fleuve

                  Se mirent dans ses yeux.

 

Voyageur inconnu que le remords promène,

Arrête ici tes pas et secoue en ton cœur

La poussière qui cèle une ferveur lointaine,

                  Joyau de ta candeur.

 

Recueille ton esprit, et seul sur la colline,

À ta céleste Mère adresse ton Avé,

Comme tu le disais dans ta flamme enfantine,

                  Sur le très saint pavé.

 

Dépose dans les plis de son écharpe aurore

L’Urne sainte où gisait ta piété d’antan :

Elle veille toujours sur celui qui l’implore ;

                  Voyageur, souviens-t-en.

 

Quelle fête pour nous dans les jours de vacances

De venir gambader sous son œil virginal,

Poursuivant le ruisseau, vainquant les éminences,

                  Humant l’air fluvial !

 

Quand se sont envolés les deux mois de liesse,

Nous revenons prier l’Étoile du Matin,

Implorer de son lustre un rayon de sagesse

                  Pour le devoir prochain.

 

Et toujours les avé mêlés à nos cantiques

S’envolent vers la Vierge en encens d’oraisons :

Et les rives du fleuve à ces accents mystiques

                  Font incliner leurs joncs.

 

Notre-Dame sourit, apaise toute plaie

Et parle à notre cœur un langage de miel.

Et l’Astre de son œil au retour par la laie

                  Palpite en notre ciel.

 

Quand nous aurons quitté pour le désert aride

Cet Éden enchanté, ce coin de paradis,

L’éclat de ses yeux doux se fera notre guide

                  Tel l’Étoile jadis.

 

Si les flots de la vie assaillent notre voile,

Si la tempête rage et si le jour s’éteint,

Au sein de notre nuit nous verrons cette Étoile

                  Luire dans le lointain.

 

Et quand, vieillards chenus, voûtés par l’existence,

Nous descendrons sans freins le sentier du tombeau,

Nous gravirons un soir comme aux jours de jouvence

                  Le sentier du coteau.

 

Laissant choir nos genoux, nous dirons la prière

Que nos lèvres d’enfants modulaient autrefois,

Et que d’un rythme lourd nous redirons sur terre

                  Pour la dernière fois.

 

 

 

Albert GERVAIS,

Au soleil de minuit, 1946.

 

 

 

 

 

 

 

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